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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/307

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raissait différemment, en admirateur de la richesse, de l’autorité, des réactions ; et toute la peine qu’il prenait pour se donner l’air d’être au diapason de l’entourage n’aboutissait qu’à rendre plus appréciables ses contradictions. C’est sur elles que s’était établi le jugement de défaveur qui, comme tous les jugements de surface, péchait par le fond.

Non, les généreux élans d’Anatole France n’étaient pas feints. France non seulement porte en lui, mais encore il a répandu dans son œuvre un très grand nombre de nobles pensées qui témoignent de son indépendance intellectuelle. Et certes il pouvait se croire de la famille des libertaires, puisque leurs théories se trouvaient d’accord avec une moitié de lui-même. C’est l’autre moitié qui ne correspondait pas et, lorsqu’un de ses anciens fidèles, Louis-Xavier de Ricard a voulu faire entendre qu’au temps de leur commune jeunesse il était un républicain de corps et d’âme, l’erreur, que d’anciens camarades ont relevée sans ménagements, n’était erreur qu’à demi. Républicain, Anatole France pouvait se targuer de l’être, mais pour ainsi dire républicain incorporel ; car, matériellement et contrairement à son libéralisme mental, il inclinait vers les inégalités sociales et souriait au luxe dont la caresse enveloppante le flattait de sollicitations difficiles à fuir. Inconsciemment il en subissait le charme, charme trompeur, puisque je crois être sûr qu’il n’a jamais goûté de joies véritables dans le commerce des jouissances trop douces et des amollissants effluves.

Et ce fut son destin de se dérober à la simplicité libre dont se serait mieux accommodée la haute vertu de son intelligence ; il s’y déroba sans profit, à la manière de certaines femmes qui trompent l’amant qu’elles aiment et le trompent avec un autre qui ne leur procure pas de plaisir. Et, me remémorant son passé, je n’entrevois pas à quelle époque de sa vie il aurait pu connaître cette pleine quiétude, cette satis-