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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/315

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gens de caste auxquels ils se mêlaient. Ils s’y voyaient accueillis, fêtés comme une gloire rejaillissant sur l’entourage, choyés comme des amuseurs dont les jolis mots sont écoutés, redits et commentés. Puis, à quelques détails, aux plus petits indices, ils ont senti que ce n’étaient pas eux mais leur personnage notoire qu’on acceptait. Par exemple, dans le milieu qu’ils imaginaient avoir conquis grâce au charme de leurs causeries, survenait un duc, sot peut-être, mais possédant château, meute, piqueurs, et pouvant inviter à des chasses, c’est vers lui que se déplaçait l’intérêt. Le moindre vicomte ayant une écurie de courses l’emportait auprès des dames sur les plus illustres fournisseurs d’esprit. Cette préférence qui ne se manifestait pas à leur profit provoquait leur bile et, des grandes maisons trop peu respectueuses pour leur génie, ils descendirent aux hôtels des juifs, aux appartements de parvenues, dans ce monde moyen qui n’est guère que la singerie du vrai monde, dont il n’a pas la tenue. Ils s’y trouvèrent mieux à leur place et c’est de là que, pour satisfaire leur dépit, ils ont tracé leur portrait de salissure.

Non ce n’est pas aux romanciers réalistes que je songe, lorsque je cherche à quel rang des Lettres il convient de classer Anatole France. En l’associant à leur destinée, je craindrais de le diminuer. Mais, quelque plaisir que j’éprouve à parler de lui, je suis forcé de m’arrêter ; car la place qu’il m’est permis de lui consacrer doit se mesurer à celle qu’il occupa dans le salon de Leconte de Lisle aux premiers temps qu’il y parut. Il se tenait alors modestement en arrière, passait la soirée sur une chaise sans prendre part au mouvement de la conversation et comme intimidé devant des gens dont la supériorité s’imposait à sa complexion encore indécise. On ne lui demandait pas de vers. Il ne fut guère compté qu’après l’apparition de son sonnet sur la Mort de César et qu’après la publication de la Part de Magdeleine dans une des li-