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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/350

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désormais atteint d’une de ces blessures qui jusqu’au dernier souffle, restent ouvertes. Pendant combien d’années son front ne gardera-t-il pas cette teinte de mélancolie, signe extérieur des remords intimes.

Sans doute la troisième République ne voudra se souvenir que de l’élan généreux du libertaire de 1848 ; elle maintiendra, sur les fonds du ministère de l’Instruction publique, la pension élevée de douze à seize cents francs et portée successivement à trois puis quatre mille, dernier taux auquel elle la conservera généreusement à Mme Leconte de Lisle. De plus elle attachera Leconte de Lisle à la bibliothèque du Luxembourg, qui dépendait du même ministère de l’Instruction publique lorsque le Sénat résidait à Versailles et qui rentra sous l’autorité de ce Sénat quand il revint siéger à Paris. Comme le gouvernement de la République, le Sénat sut oublier ; il conserva le tiers des appointements à la veuve, bien que Leconte de Lisle ne fût resté que vingt-deux ans fonctionnaire, au lieu des trente années qui donnent droit à la retraite.

Mais, s’il obtint la protection du pouvoir qui le mit à l’abri de nouvelles défaillances, si même son salon après quelques années de tristesse résignée parut se réveiller sous les échos du tapage mondain, Leconte de Lisle ne retrouva jamais l’intime et profonde sérénité des anciens jours. Il regretta les veillées d’armes, les âpres luttes d’antan, alors que son nom, exempt de toute brisure, sonnait haut pour le ralliement. Ses efforts pour reprendre le vieux souffle contempteur retombèrent épuisés, tristement inutiles, et lui-même se sentit s’éteindre dans le vide des existences arrêtées par un coup du destin au plus bel instant de la lutte.

« Toute faiblesse s’expie », écrivait Leconte de Lisle ; n’essayons donc pas, à la manière des femmes vaines et des jeunes gens timides, de disculper les