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Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 1.djvu/373

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tous deux. Esclave lui-même de ceux qui dirigeaient ses travaux, il serait injuste d’attribuer au colon l’énorme déperdition de vie résultant de ce fait, de toute une population ainsi bornée aux travaux des champs et privée de toute action pour l’entretien du commerce.

Avec des quantités inépuisables de bois de construction, la Jamaïque ne possédait pas, même en 1850, une seule scierie, bien qu’elle offrît un marché considérable pour le bois de charpente arrivant du dehors. Produisant en abondance les plus beaux fruits, il n’existait pas encore de gens des villes, avec leurs navires, pour les transporter aux marchés de ce pays ; et faute de ces marchés, ces fruits pourrissaient au pied des arbres. « Les ressources manufacturières de l’île, dit un voyageur moderne, sont inépuisables[1], » et elles l’ont toujours été, en effet ; mais privée de la puissance d’association, la population a été forcée de dépenser en pure perte une activité qui, employée convenablement, aurait payé au centuple toutes les denrées qu’elle était contrainte d’aller demander à un marché lointain. « Pendant six ou huit mois de l’année, dit-il encore, on ne travaille pas sur les plantations de canne à sucre ou de café. » L’agriculture, dans la voie où elle est dirigée aujourd’hui, ne prend pas plus de la moitié de leur temps ; et elle ne l’a pas toujours pris ; et c’est à cette perte de travail, résultant du défaut de diversité dans les occupations, qu’il faut attribuer la pauvreté et la décadence des colons.

La population diminua parce qu’il ne pouvait y avoir d’amélioration dans la condition du travailleur qui, borné ainsi dans l’emploi de son temps, était forcé d’entretenir non-seulement lui-même et son maître, mais l’agent, le négociant-commissionnaire, l’armateur, le créancier hypothécaire, le marchand en détail et le gouvernement ; et tout cela sous l’empire d’un système qui enlevait tout à la terre et ne lui rendait rien. Sur la somme payée, en 1831, par le peuple anglais, en échange des produits du travail de 320.000 ouvriers noirs de la Jamaïque, le gouvernement de la métropole ne perçut pas moins de 3.736.113 liv. sterl. 10 schell. 6 pence[2], soit environ 18 millions de dollars, ce qui donne presque 60 dollars par tête ; et cela uniquement pour surveiller les échanges. Si l’on n’eût exigé une somme aussi considérable sur le produit du

  1. Bigelow. Notes sur la Jamaïque, p. 54.
  2. Martin. Les Antilles.