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Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 2.djvu/256

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§ 10. — Esprit de spéculation et d’agiotage engendré par une dépendance croissante où l’on se trouve du trafiquant et du transporteur.

Le sauvage est toujours un joueur, prêt à risquer sa fortune d’un coup de dé. L’homme civilisé cherche à acquérir pouvoir sur la nature et à obtenir ce qui approche le plus de la certitude dans ses opérations. Le commerce tend à produire fermeté dans le mouvement de la machine sociétaire, comme on le peut voir en comparant la France, l’Angleterre et l’Allemagne de nos jours, avec ce qu’elles étaient aux époques des Valois, des Plantagenets ou des Hohenstauffen. La fermeté diminue à mesure que le commerce décline et que le trafic en prend la place. À chaque mouvement dans cette direction, les hommes deviennent plus insouciants et l’instinct joueur reparaît, — la spéculation se substituant alors au travail régulier et honnête.

Jamais dans l’histoire des États-Unis il n’a existé si peu de l’esprit de spéculation et de jeu que dans ces périodes de prospérité paisible qui suivirent la promulgation des actes de 1828 et 1842. Jamais dans le pays cet esprit ne s’était autant manifesté qu’à la période qui suivit le rappel du premier de ces actes, — la période dans laquelle se posa la base de cette détresse qui amena le retour de la protection par la promulgation du dernier. Toute grande qu’ait été la tendance spéculatrice de 1836, elle est aujourd’hui dépassée, — le pays entier est devenu une grande maison de jeu où des hommes de toute sorte et de toute condition s’occupent à battre les cartes, dans la vue de dépouiller leurs voisins. Le crime, qui était si abondant dans la première période, a aujourd’hui triplé, — le vol, la débauche, la filouterie, le péculat, l’incendie, le meurtre, sont devenus tellement communs que c’est à peine si on leur

    un journal de New-York) avec de si mauvais matériaux que c’est à peine s’ils peuvent résister à leur propre poids, et l’on vante des murs qui croulent après avoir été exposés à une pluie de quelques heures, ou à un vent capable au plus de soulever la poussière des grandes routes. On construit des masses d’édifices, dont les solives sont tellement liées l’une à l’autre qu’elles forment une traînée parfaite pour la prompte communication du feu. Les solives sont engagées dans les tuyaux de cheminée, si bien que les bouts sont exposés à s’échauffer les premiers, et à s’enflammer par une étincelle. Des files de maisons et des magasins sont souvent couverts d’une seule toiture qui, dans toute sa longueur de matériaux combustibles, n’a pas un mur formant parapet, ou tout autre obstacle pour empêcher les flammes de se répandre en cas d’incendie. » — Le sentiment de responsabilité s’accroît avec l’accroissement de civilisation réelle. Il diminue avec l’accroissement de cette civilisation dérisoire, ou barbarie réelle, qui a son origine dans l’accroissement de pouvoir du trafic.