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Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 2.djvu/257

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donne la moindre attention en lisant le journal qui les raconte[1].

Le déclin de moralité est une conséquence nécessaire de l’accroissement de la distance entre le producteur et le consommateur ; et cela parce qu’à chaque tel accroissement, l’écart augmente entre les prix des denrées brutes de la terre et ceux des utilités achevées ; et que l’homme qui travaille devient de plus en plus la proie de celui qui vit du trafic. Plus ces prix s’écartent, plus aussi augmente la partie de la société engagée dans le transport des marchandises, — la profession qui, parmi toutes les autres, favorise le moins le développement de l’intelligence ou l’amélioration du cœur. Le marin et le roulier sont habituellement sevrés de la salutaire influence de femmes et de filles, et constamment exposés à l’influence pernicieuse du cabaret et du mauvais lieu. L’ignorance et l’immoralité croissent avec l’accroissement du pouvoir du négociant, et plus elles augmentent, plus augmente l’induction aux pratiques frauduleuses. Le fermier qui a pour voisin le serrurier ou le tisserand reçoit un

  1. Il y a en Europe quelques ouvrages de statistique très-renommés sur les classes dangereuses, c’est-à-dire celles qui vivent de moyens contraires au bien public, et dont l’existence n’est qu’une guerre plus ou moins ouverte et déterminée contre l’existence de la société. Mais nous ne nous rappelons pas qu’un de ces ouvrages ait énuméré les vendeurs d’actions à terme — les ours en style de bourse — parmi ces classes dangereuses. Certainement il n’est pas de profession plus nuisible ou dangereuse que celle qui prospère en raison des calamités publiques — pour qui la sécheresse, le feu, la grêle, l’ouragan, l’inondation et toute forme de désastre public, est un envoi de Dieu — dans laquelle les esprits supérieurs s’enrichissent de tout ce qui apporte souffrance et misère aux foyers de la grande masse de la communauté. La guerre, la nielle, le froid, la famine — tout ce qui donne certitude de détresse générale, qui menace de banqueroute nationale ou universelle, apporte triomphe et richesse au courtier de bourse « à l’ours. » — Cependant si jouer à terme sur les fonds publics est nuisible et répréhensible, jouer sur les denrées nécessaires de la vie l’est encore bien davantage. On nous assure qu’il y a aujourd’hui des contrats flottants dans cette ville pour quelques millions de dollars, basés sur les stipulations d’un côté de livrer, et de l’autre de prendre des quantités considérables de porc, bœuf, farine, blé à tel jour et à tel prix, autrement dit : A parie contre B, une grosse somme, mais indéterminée, que la farine sera en hausse ou en baisse, selon le cas, le mois prochain, ou à la prochaine fin ou au prochain commencement d’année. Des marchands, dont la profession légitime exige tout leur temps, leur intelligence et leurs moyens, ont risqué tout leur avoir et plus que leur avoir dans ce jeu désespéré. Par suite, plusieurs se sont ruinés, quelques-uns ont perdu la raison ou se sont suicidés ; et des milliers sont devenus impotents, en courant un hasard qui contient tout le vice et la malfaisance de hâblerie ou d’ostentation, avec plus que leurs funestes influences sur le bien-être public. » — New York Tribune.