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Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 3.djvu/22

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pour y être amusés et nourris. Le paupérisme à l’intérieur va croissant à mesure que grandit la domination au dehors ; les distributions gratuites de vivres ayant suivi de très-près la destruction de Carthage, la soumission du littoral de la Méditerranée et l’élévation des Scipions au rang distingué qu’ils ont depuis occupé dans des livres qui passent pour de l’histoire. Comme les grands personnages se multiplient et que la terre est de plus en plus accaparée, le nombre des esclaves augmente et n’est plus dans la même proportion avec celui des hommes qui prétendent rester libres, et qui, réduits de plus en plus à la misère et dégradés, finissent par former cette misérable populace qui se tient prête en toute occasion, pourvu qu’elle obtienne une part dans le pillage, à prêter son appui à un Marius ou à un Sylla, un Pompée ou un César, un Tibère ou un Néron, un Caligula ou un Domitien.

Passons aux Pays-Bas du moyen âge. Nous voyons un accroissement soutenu de population, accompagné d’un développement d’individualité supérieur à presque tout ce qu’on connaît en Europe. Le pouvoir constamment croissant de combinaison marcha de compagnie avec l’aptitude constamment croissante de réduire les forces de la nature au service de l’homme, aptitude signalée dans la culture appliquée aux riches sols qui, du temps de César, étaient couverts de marécages et de forêts. Nulle part, en Europe, la consommation ne suivit plus vite la production, et nulle part une population semblable ne déploya une égale puissance, à l’intérieur et au dehors.

Si nous jetons les yeux sur la France, leur voisine immédiate, nous y verrons la marche des choses tout à fait inverse. Depuis l’époque de Charlemagne jusqu’à la Révolution de 89, elle abonde en vagabonds errants, nobles pairs et pauvres, hommes dont la main est hostile à tout prochain, tandis que toute main d’homme se lève contre eux. À l’intérieur son histoire est un long récit de la guerre civile la plus incessante, tandis qu’au dehors elle est la constante perturbatrice de la paix publique. Nulle part, en Europe, la centralisation n’a été plus intense, et nulle part ses conséquences d’arrêter la circulation de la société n’ont été plus également et plus désastreusement manifestées. Toujours avide de domination au dehors, à l’intérieur elle a constamment dissipé la force qui, convenablement appliquée, eût fait d’elle un jardin capable de