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Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/46

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MÉMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

existèrent, ils servirent de modèle au monde entier des artistes. Bien que le divin Michel-Ange ait fait ensuite la chapelle du pape Jules, jamais il n’arriva à la moitié de cette hauteur, jamais son talent ne retrouva la vigueur qui distingue ces premières études.

Maintenant retournons à Pietro Torrigiano, qui, mon dessin à la main, me dit : — « Dans notre enfance, ce Buonarroti et moi nous allions travailler dans la chapelle de Masaccio[1], à l’église del Carmine. Il avait coutume de se moquer de tous ceux qui dessinaient. Un jour qu’il m’ennuyait de ses plaisanteries, je devins furieux, et je lui appliquai un si terrible coup de poing sur le nez, que je sentis l’os et les cartilages se briser sous ma main comme une oublie, de sorte que toute sa vie il en portera la marque. » — Ces paroles soulevèrent tant de haine chez moi, qui chaque jour admirais les chefs-d’œuvre du divin Michel-Ange, que, loin d’avoir le désir de suivre Torrigiano en Angleterre, je ne pouvais plus souffrir sa présence.

Je m’appliquai continuellement à Florence à étudier le style sublime de Michel-Ange, et jamais je ne m’en suis écarté. À cette époque, je me liai étroitement avec un jeune homme de mon âge, qui, lui aussi, travaillait à l’orfèvrerie. Il se nommait Francesco et il était fils de Filippo Lippi et petit-fils de l’excellent peintre Fra Filippo[2]. Nous conçû-

  1. Masaccio on Tommaso Guidi naquit a San-Giovanni, dans le Florentin, en 1401 ou 1402, et mourut en 1443. Après avoir étudié à Florence, il passa à Pise et de là à Rome, où il laissa une foule de chefs-d’œuvre qui ouvrirent à la peinture une voie nouvelle. Lorsque Cimabue, Giotto, Stefano, Orcagna, Paolo Uccello et Masolino da Panicale, décidés à rompre avec les types traditionnels, eurent scruté la nature et arraché à la science tous ses secrets, Masaccio s’empara de leurs acquisitions, les rassembla en faisceau, les embellit, les augmenta et les remit à ses successeurs, qui devaient s’en servir pour porter l’art à son apogée. C’est ce que confirment Vasari et Cellini quand ils racontent que les Vinci, les Raphaël, les Michel-Ange, allèrent étudier les fresques de la chapelle del Carmine. On peut dire que Masaccio d’une main lie le présent à l’avenir et de l’autre se rattache au passé. — Voy. Vasari, Vie de Masaccio, t. II, p. 129. L. L.
  2. Fra Filippo Lippi naquit a Florence vers l’an 1400, et mourut en 1469. Sa sortie du cloître, son esclavage en Barbarie, où il fut vendu par des corsaires, la manière