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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/269

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Ô des fleuves français brillante souveraine,
Salut ! ma longue course à tes bords me ramène,
Moi que ta nymphe pure en son lit de roseaux
Fit errer tant de fois au doux bruit de ses eaux ;
Moi qui la vis couler plus lente et plus facile,
Quand ma bouche animait la flûte de Sicile ;
Moi, quand l’amour trahi me fit verser des pleurs,
Qui l’entendis gémir et pleurer mes douleurs.
Tout mon cortége antique, aux chansons langoureuses,
Revole comme moi vers tes rives heureuses.
Promptes dans tous mes pas à me suivre en tous lieux,
Le rire sur la bouche et les pleurs dans les yeux,
Partout autour de moi mes jeunes élégies
Promenaient les éclats de leurs folles orgies ;
Et les cheveux épars, se tenant-par la main
De leur danse élégante égayaient mon chemin.
Il est bien doux d’avoir dans sa vie innocente
Une Muse naïve et de haines exempte,
Dont l’honnête candeur ne garde aucun secret ;
Où l’on puisse au hasard, sans crainte, sans apprêt.
Sûr de ne point rougir en voyant la lumière,
Répandre, dévoiler son âme toute entière.

C’est ainsi, promené sur tout cet univers,
Que mon cœur vagabond laisse tomber des vers.
De ses pensers errants vive et rapide image,
Chaque chanson nouvelle a son nouveau langage,
Et des rêves nouveaux, un nouveau sentiment :
Tous sont divers, et tous furent vrais un moment.

Mais que les premiers pas ont d’alarmes craintives !