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Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/51

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cette gaîté quand même qui, si souvent encore dans la suite, devait l’aider à supporter les rigueurs du sort.

La misère fit de ces trois années une éternité ; l’angoisse des nuits en chassait le sommeil, et la faim fut, trop souvent, l’unique convive du jeune ménage. Quelques lignes ne sauraient suffire à résumer les lamentables tristesses de cette période ; il y faudrait la patiente énumération des souffrances quotidiennes. Même la description détaillée qu’en fait Glasenapp ne dit pas tout, fondée qu’elle est en grande partie sur les renseignements donnés par les amis d’alors, qui ne pouvaient sonder tant de détresse que du dehors, pour ainsi dire. Si l’on veut aller plus avant, et se rendre quelque compte du désespoir du jeune artiste, que les horreurs de la pauvreté touchaient bien moins que le naufrage presque certain des espérances de toute sa vie, qu’on lise les nouvelles intitulées : Un musicien allemand à Paris, dans le premier volume de la collection complète des Œuvres de Wagner. « J’y ai exposé », dit-il, « sous le voile d’une fiction parfois humoristique, ma propre histoire à Paris, où il s’en fallut de bien peu que je ne mourusse de faim, comme le héros de mon conte. Ce que j’ai voulu y faire entendre, d’ailleurs, c’est un cri de révolte contre la condition de l’art et des artistes à notre époque ».

Ce dernier passage fait comprendre que le séjour de Wagner à Paris détermina, dans sa vie, la première crise décisive. « J’entrai », dit-il, « dans une nouvelle voie, celle de la révolte ouverte contre tout ce qui constitue, de notre temps, la manifestation publique de l’art. » (Il est de toute importance de fixer la date de cette rupture définitive, qui remonte à 1840. En effet, sa « révolte » contre la « manifestation publique » de l’art devait le conduire, logiquement et nécessairement, à