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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/106

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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

percée, pratiquée dans le faite, qu’est éclairé le lieu saint où s’élève l’image du dieu. Ainsi l’extrême rareté des ouvertures semble d’accord avec la sévérité du monument, et si un portique en facilite l’accès en offrant au peuple un abri sous le fronton ou sous les ailes du temple, derrière ce portique se dresse une muraille infranchissable.

Au moyen âge, les églises catholiques présentent, il est vrai de grandes surfaces toutes percées de vitrages qui sembleraient devoir diminuer l’austérité de l’architecture ; mais, pour atténuer l’effet que produirait ici l’abondance du jour, l’architecte a su amortir l’éclat de ses verrières sous des rouges intenses, des bleus violents, des verts profonds, de sorte que la fenêtre, colorant au passage les rayons du soleil, devient à demi obscure et rétablit au dehors la gravité de l’édifice, tandis qu’elle répand dans l’intérieur la mélancolie de ses sombres lumières.

Dans les temps modernes, un des hommes qui ont le mieux senti l’expression sévère que peut obtenir l’architecture par la sobriété des vides, est l’architecte Ledoux, qui fut en réputation au siècle dernier. Tout ce qu’a produit cet artiste est marqué à l’empreinte d’une simplicité forte et du plus rigide caractère. C’est lui qui éleva autour de Paris ces barrières qu’on vient de détruire presque toutes, et dont quelques-unes étaient des chefs-d’œuvre à leur manière. Un philosophe qui aurait voulu habituer les esprits à l’abolition des octrois n’eût pas mieux conçu son architecture. De quelque point de l’horizon qu’il se dirigeât sur Paris, le marchand, du plus loin qu’il apercevait ces pleines et lourdes murailles, ces portes basses, flanquées de colonnes trapues, et ces très rares fenêtres par où il se sentait surveillé, songeait tout de suite à payer la rançon de l’industrie et du travail. Partout l’architecte avait atteint son but en variant l’application du même principe.

Il faut citer encore, comme un exemple frappant de l’expression des pleins en architecture, la prison construite à Aix en Provence sur les dessins du même artiste. L’édifice est un quadrilatère aux quatre faces égales et pareilles. Chacune se développe sur une grande ligne et présente une surface nue et lisse, percée de quelques ouvertures très étroites et très rares. Aux deux angles s’élèvent deux corps de bâtiment qui ne font point saillie sur le nu du mur extérieur, mais qui se distinguent par un couronnement triangulaire sans aucune moulure, sans aucun vide apparent ou réel. Au milieu de ces sombres façades s’ouvre un petit péristyle de colonnes serrées et courtes : il semble de loin que le prisonnier n’y pourra passer qu’en baissant la tête. Par sa beauté sauvage, son aspect farouche, ce monument est un modèle du genre.

On le voit, du moment que les pleins gagnent sensiblement sur les vides, la physionomie de l’architecture change à vue d’œil. Le kiosque