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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/27

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DE L’IMITATION ET DU STYLE.



IV

DE L’IMITATION ET DU STYLE

Phèdre raconte, dans une de ses fables, qu’un célèbre histrion était en possession d’amuser le peuple romain en imitant le cri d’une oie, si notre mémoire est fidèle. Un paysan, voulant surpasser l’histrion, fit crier une oie véritable qu’il avait cachée sous son manteau ; mais, à sa grande surprise, il fut sifflé.

Spirituel apologue, qui à lui seul contient la juste définition de l’art ! Ce qui intéressait le peuple romain, ce n’était point le cri de l’oie, c’était l’heureux effort de l’histrion pour imiter ce cri. Il n’était pas besoin d’aller au théâtre pour entendre un oiseau si vulgaire et si familier ; mais, dès que la chose naturelle passait par la volonté du dernier des histrions, elle devenait piquante, et le peuple s’en amusait, parce que l’homme s’était ajouté à la nature, homo additus naturæ. Ainsi, la belle définition que François Bacon a formulée était contenue, depuis des siècles, dans la fable de Phèdre.

Qu’est-ce que l’imitation ? C’est une copie fidèle, et rien de plus. Si les arts du dessin n’avaient d’autre objet que de copier la nature, ils tenteraient, la plupart du temps, une chose inutile : ils seraient un pléonasme. Pourquoi peindre avec tant de soin, sur la toile, une fleur que nous pouvons aller voir dans le jardin ? Pourquoi une seconde édition des créatures, alors que la première est inépuisable ? l’imitation, d’ailleurs, est-elle possible ? Les raisins de Zeuxis trompant les oiseaux, c’est là une pauvre fable, imaginée et répétée par des écrivains qui, certainement, n’étaient pas dans le secret de l’art. Si l’artiste est peintre, pourra-t-il conserver à ses fleurs sans parfum cette fraîcheur, au moins, qui est la rosée ? Pourra-t-il, avec des couleurs tirées de la terre, reproduire la lumière des cieux ? S’il est sculpteur, donnera-t-il du mouvement au marbre, de la légèreté aux cheveux, de la transparence au regard ? S’il est architecte, qu’imitera-t-il ? Aura-t-il à copier fidèlement telle ou telle création de la nature ?

Pascal a dit : « Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance de choses dont on n’admire pas les originaux ! » Pascal aurait dit vrai si la peinture n’était qu’une imitation, car elle serait alors une vanité, et une vanité impuissante. Mais, il faut le répéter, l’artiste est l’interprète de la nature ; c’est à lui de découvrir le sens voilé, le sens profond de ce poème obscur, pour le traduire dans sa langue, ou plutôt pour lui prêter un langage, car la nature est silencieuse.