Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

L’imitation est le commencement de l’art, mais elle n’en est pas le principe. « Le talent d’imiter les objets réels, dit Reynolds, est sans doute le premier que l’artiste doit acquérir ; mais il s’en faut bien que ce soit le dernier et le plus rapproché de la perfection. » Des grandes et nobles créations de l’Homme, en est-il une seule qu’ait produite cette imitation sans choix qu’on appelle, dans l’idiome du jour, le réalisme ? Faut-il proscrire la poésie, parce qu’elle emploie une forme cadencée dont l’homme de la nature ne s’est jamais servi et ne se servira jamais ? L’art dramatique ne vit-il pas également de fictions et d’invraisemblances ? Il n’est pas naturel, assurément, que les héros antiques s’énoncent dans la langue de Racine. Serons-nous pour cela condamnés à ne jamais entendre les superbes colères d’Hermione, les brûlants soupirs de Phèdre ? La réalité ? elle serait affreuse au théâtre, si l’artiste imitait avec scrupule les contorsions de la mort ou les cris du désespoir, si l’on en venait à nous faire croire que Médée va égorger ses enfants sous nos yeux :

Ne pueros corani populo Medea trucidet.

Ah ! ce n’était pas de la réalité seulement qu’elle s’inspirait, cette muse tragique, fille de Corneille, que nous avons applaudie naguère, lorsque, drapée dans le péplum des statues, elle promenait sur la scène, avec un rythme souverain, les mouvements de la sculpture antique !

L’écrivain ou l’orateur ont étudié chacune des expressions de la langue ; ils en connaissent la signification et la valeur, la couleur et le relief ; mais ces connaissances ne font ni un beau livre ni un beau discours, et si tous les mots sont dans le vocabulaire, l’éloquence est dans l’âme de l’orateur. Ainsi, la nature seule, répertoire immense, renferme tous les éléments de l’art, même les éléments du fantastique, puisque l’homme ne saurait créer une chimère qui n’ait tous ses membres dans la réalité, un nuage qui n’ait traversé le firmament, une plante absolument inconnue au naturaliste. Le sculpteur et le peintre doivent donc étudier religieusement la vie, ils doivent constamment dessiner, modeler et peindre d’après nature, parce qu’ils ne sauraient traduire la nature sans la bien connaître ; mais celui qui ne sait pas s’affranchir ensuite d’une imitation servile, tenir la réalité à distance, en effacer les misères et la transformer selon son esprit, celui-là n’est pas un maître.

Le dernier mot de l’imitation, c’est de produire une copie que l’on puisse prendre pour original ; en d’autres termes, le chef-d’œuvre de l’imitateur serait de faire illusion, non plus à des oiseaux, mais à des hommes. Il en résulte que les personnages représentés dans les cabinets de cire, revêtus de leurs propres habits, avec des cheveux, des cils et des sourcils naturels, de manière à tromper le spectateur, seraient, au plus haut degré, des œuvres d’art. Rien au monde, cependant, n’est