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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/70

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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

croyances, leur Manière de concevoir Dieu et le monde, les monuments de l’architecture sont les pages les plus sincères de l’histoire : voilà pourquoi leurs débris mêmes nous apprennent tant de choses sur la vie morale des sociétés. Les ruines de l’architecture sont les ossements fossiles de l’histoire humaine. De même qu’en creusant la terre on y trouve les squelettes monstrueux des espèces éteintes que recomposera le génie du naturaliste, ainsi, en creusant le temps, on y découvre les traces de peuples disparus, de religions mortes, dans ces monuments en ruines qui sont les membres dispersés, les ossements des grands êtres qu’on appelle des nations. « Les peuples qui ont la même architecture, a dit excellemment Gioberti (Discorso sul bello), ne font qu’une seule et même société, comme les animaux qui ont la même structure ne font, en dépit des variétés apparentes, qu’une seule et même famille. »

À l’époque où les sociétés orientales élevèrent leurs premiers monuments, ou plutôt les monuments les plus anciens que nous connaissions et qui ne durent pas être les premiers, à cette époque, disons-nous, le sacerdoce était dominant et supérieur. Dans ses corporations se conservaient le dépôt des connaissances humaines, la clef de l’écriture sacrée, l’étalon des mesures, la tradition des arts, les secrets de la philosophie religieuse, et l’architecture enveloppait tout cela dans sa majestueuse unité. Cette suprématie se maintint durant des siècles. Mais, par la suite des temps et par le fait des guerres successives et des conquêtes, la caste sacerdotale perdit de son importance, jusqu’alors exclusive. La classe des guerriers, d’abord soumise aux prêtres, se déroba à leur domination, et peu à peu devint une puissance rivale. À côté du temple s’éleva le palais, et le chef des milices balança par son influence et par l’éclat des armes la souveraineté du pontife. Alors les pouvoirs furent partagés, et il arriva souvent que deux villes se formèrent dans le même État ; d’un côté la ville royale et militaire, de l’autre la ville sacrée et pontificale. L’histoire en offre plusieurs exemples : dans l’ancienne Perside, Persépolis et l’Ecbatane des Mages ; dans l’Inde, Amretsir et Lahore ; dans l’empire des Arabes, Bagdad et la Mecque ; à Babylone enfin, la cité sainte de Bélus et la cité monarchique de Nabuchodonosor, bâties sur les deux rives de l’Euphrate et ainsi séparées par le fleuve. À la longue, le sacerdoce fut primé par la puissance des laïques ; c’est ainsi qu’en Égypte, les magnificences de Thèbes, ville des Pharaons, finirent par éclipser l’antique Méroë, qu’avaient rendue si célèbre ses collèges de prêtres, ses groupes de temples et ses observatoires où était née l’astronomie.

Alors eut lieu, non précisément la séparation des arts, mais leur émancipation. La sculpture, la peinture, ne figuraient dans le temple qu’à l’état de symboles ; elles y étaient immobiles, incorporées à la pierre et humblement soumises à la majesté impérieuse du dogme. Les prêtres