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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

thème, fleur chère aux Coréens comme aux Japonais mêmes. Cela n’avait pas une signification spéciale si nous n’avions été prévenus d’avance que M. Tcho allait réunir, à cette occasion, toutes les kisangs ou danseuses dont nous avons parlé comme formant partie de toute fête officielle. L’invitation était drôlement conçue, la voici :


« Le rouge est en train de disparaître, le vert devient gras, ce qui annonce que le printemps est arrivé. C’est la saison de la joie. Ne viendrez-vous donc pas me prêter le plaisir de votre présence et vous joindre à moi et à mes amis pour festoyer des bonnes choses que j’ai préparées à cette intention, à midi du 1er mai.

« Signé : Tcho-Pyong-Sik. »


« Le rouge est en train de disparaître, le vert devient gras », qu’est-ce que cela peut dire, Monsieur Wo ? Et ce dernier a répondu : « En Corée, les fleurs fleurissent avant les feuilles. » Et, en effet, en regardant par la fenêtre, je me suis rendu compte de la vérité, et la métaphore employée par M. Tcho n’était que l’affirmation d’un fait banal.

À midi donc, exactement je me trouvai avec mes collègues chez M. Tcho. Le ministre est un homme de soixante-cinq ans. Et puisque la vieillesse est considérée comme honorable en Corée, le meilleur compliment qu’on puisse faire c’est de dire : « Votre Excellence a l’air fatiguée aujourd’hui », ou bien : « Monsieur le Ministre, vous avez vingt ans de plus que vous n’aviez hier. » Le ministre en sera fort content et sans doute rendra votre politesse par un compliment pareil. Comme on le voit, il y a loin de ce code-là en Occident !

M. Tcho m’a accueilli avec ses cordiales salutations et m’a complimenté au sujet de mon âge, ce qui ne m’a fait aucune impression fâcheuse. De la salle de réception où je me trouvai obligé d’accepter un verre de sul, nous passâmes à la salle à manger, où notre hôte nous plaça à table : à côté de chacun de nous se tenait une de ces singulières créatures, les kisangs. La table était garnie de fleurs ou plutôt des fleurs de cerisier et de prunier, qui prêtaient un air d’élégance à la salle en même temps qu’elles exhalaient un parfum exquis. La nourriture coréenne est loin