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Page:Charles De Coster - Légendes Flamandes.djvu/204

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querir autres et en placèrent ainsi jusques à vingt. La femme, les voulant arrêter, fut renversée, cependant que Smetse à force de rire ne pouvait parler et se devait contenter de la tirer à lui, l’engardant ainsi de se blesser aux tonneaux portés par les brasseurs de bière de la rue à la cave, avec hâte et vitesse merveilleuses.

— « Ha, » lamentait-elle, « laisse-moi ! ceci est trop, Smetse ! Las ! nous voici plus que gueux, nous sommes detteurs. Smelse, je me vais tantôt jeter à l’eau, mon homme. Faire dettes pour emplir ventre affamé, c’est honte jà bien grande ; mais le faire par goulue gourmandise, c’est vilenie insupportable. Ne te peux-tu contenter d’eau et de pain que tu eusses pu gagner de tes dix doigts glorieusement ? Es-tu doncques si goinfre devenu qu’il te soit de gâteaux, fins fromages et pleins tonneaux besoin présentement ? Smetse, Smetse, ce n’est là fait de bon Gantois mais de brigand espagnol. Ha ! je m’irai jeter à l’eau, mon homme. »

— « Femme, » disait Smetse marri de la voir si dolente, « ne ploure point, tout est à nous, mamie, dûment et en bonne propriété. »

— « Ha, » disait-elle gémissant, « c’est mal à vous perdre ainsi, en vos vieux ans, cette honnêteté qui fut votre seule couronne. »