Aller au contenu

Page:Charles De Coster - Légendes Flamandes.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 228 —

diables ! » Et les voix ayant cessé, l’homme fit de la main un signe et soudain l’eau de la Lys monta comme si Dieu en eût soulevé le lit. Et la rivière devint pareille à mer houleuse ; toutefois les vagues n’allaient du tout vers le quai, mais chacune s’agitait isolément, portant à sa crête écume de feu. Puis chaque écume monta tirant à elle l’eau comme une colonne, et il semblait au pauvre Smetse et à sa femme et aux manouvriers qu’il y eût là bien cent mille milliasses de colonnes d’eau oscillant et s’agitant.

Puis chacune colonne fut formée en un animant horrifique, et soudain parurent s’entremêlant, frappant et blessant, tous les diables tourmenteurs des pauvres damnés. Là se voyaient, montés sus jambes d’hommes torses et branlantes, crabes monstrueux, dévorateurs de ceux qui furent rampants en leur vie ; près desdits crabes, se tenaient, agitant de l’aile, autruches plus grandes que cheval. Elles avaient sous la queue lauriers, sceptre et couronne, et derrière cette queue étaient contraints de courir ceux qui, en notre monde et sans souci aucun de bien faire, poursuivirent les vains honneurs. Et les autruches allaient plus vite que vent, et ils couraient sans cesse derrière elles afin d’atteindre les lauriers, sceptres et couronnes ; mais ils ne le pouvaient oncques. Ainsi étaient-ils menés jusques à quelque