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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/107

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différent ? Il devient chaque jour plus attentif à lui plaire. Nous ne voyons plus le jeune ministre mon parent, ni son ami des montagnes. Le jeune Bernois, se sentant peut-être trop éclipsé par son cousin, ne nous honore plus de ses visites ; mais ce cousin vient nous voir très souvent, et me paraît toujours très aimable. Quant aux deux autres hommes, je les appelle mes pénates. Vos hommes m’ont bien fait rire. Celui qui est étonné qu’une hérétique sache ce que c’est que le Décalogue, me rappelle un Français qui disait à mon père : monsieur, qu’on soit huguenot pendant le jour, je le comprends ; on s’étourdit, on fait ses affaires, on ne pense à rien ; mais le soir, en se couchant, dans son lit, dans l’obscurité, on doit être bien inquiet ; car, au bout du compte, on pourrait mourir pendant la nuit ; — et un autre qui lui disait : Je sais bien, monsieur, que vous autres huguenots, vous croyez en Dieu ; je l’ai toujours soutenu, je n’en doute pas ; mais en Jésus-Christ ?… Quant au président, qui ne comprend pas comment une femme qui a quelque instruction et quelque usage du monde ose encore parler des dix commandements, et en général de la religion, il est encore plus plaisant ou plus pitoyable. Il a voulu raisonner ; il dit, comme tant d’autres, que sans la religion nous n’aurions pas moins de morale, et cite quelques athées honnêtes gens. Répondez-lui que, pour en juger, il faudrait trois ou quatre générations et un peuple entier d’athées ; car, si j’ai eu un père, une mère, des maîtres chrétiens ou déistes, j’aurai contracté des habitudes de penser et d’agir qui ne se perdront pas le reste de ma vie, quelque système que j’adopte, et qui influeront sur mes enfants, sans que je le veuille ou le sache : de sorte que Diderot, s’il était honnête homme, pouvait le devoir à une religion que, de bonne foi, il soutenait être fausse. Vous n’aviez pas besoin de m’assurer que vous ne disiez jamais rien de mes lettres qui pût avoir le plus petit inconvénient. Les écri-