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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/108

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rais-je si je n’en étais assurée ? Je suis bien aise que vous soyez si contente de Cécile. Vous me trouvez extrêmement indulgente, et vous ne savez pas pourquoi ; en vérité, ni moi non plus. Il n’y aurait eu, ce me semble, ni justice ni prudence dans une conduite plus rigoureuse. Comment se garantir d’une chose qu’on ne connaît et n’imagine point, qu’on ne peut ni prévoir, ni craindre ? Y a-t-il quelque loi naturelle ou révélée, humaine ou divine, qui dise : la première fois que ton amant te baisera la main, tu n’en seras point émue ? Fallait-il la menacer

_______________des chaudières bouillantes
où l’on plonge à jamais les femmes mal-vivantes ?

Fallait-il, en la boudant, en lui montrant de l’éloignement, l’inviter à dire comme Télémaque : O Milord ! Si maman m’abandonne, il ne me reste plus que vous ? supposé que quelqu’un fût assez fou pour me dire : Oui, il le fallait ; je dirais que, n’ayant ni indignation, ni éloignement dans le cœur, cette conduite, qui ne m’aurait paru ni juste ni prudente, n’aurait pas non plus été possible.


QUATORZIÈME LETTRE


Que direz-vous d’une scène qui nous bouleversa hier, ma fille et moi, au point que nous n’avons presque pas ouvert la bouche aujourd’hui, ne voulant pas en parler et ne pouvant parler d’autre chose ? Voilà du moins ce qui me ferme la bouche, et je crois que c’est aussi ce qui la ferme à Cécile. Elle a l’air encore tout effrayée. Pour la première fois de sa vie elle a mal passé la nuit, et je la trouve très pâle.

Hier, milord et son parent dînant au château, je n’eus