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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/105

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’adopter ce projet : rien de ce qui affecterait la fortune publique en France ne pouvait me convenir. » Sentiment digne d’un roi !

Dans cette conversation, on remarquera la générosité de caractère, la douceur des mœurs et le bon sens de Charles X. Pour un philosophe, c’eût été un spectacle curieux que celui du sujet et du roi s’interrogeant sur leur fortune et se faisant confidence mutuelle de leur misère au fond d’un château emprunté aux souverains de Bohême !

Prague, 25 et 26 mai 1833.

Au sortir de cette conférence, j’assistai à la leçon d’équitation de Henri. Il monta deux chevaux, le premier sans étriers en trottant à la longe, le second avec étriers en exécutant des voltes sans tenir la bride, une baguette passée entre son dos et ses bras. L’enfant est hardi et tout à fait élégant avec son pantalon blanc, sa jaquette, sa petite fraise et sa casquette. M. O’Hégerty le père, écuyer instructeur, criait : « Qu’est-ce que c’est que cette jambe-là ! elle est comme un bâton ! Laissez aller la jambe ! Bien ! détestable ! qu’avez-vous donc aujourd’hui ? etc., etc. » La leçon finie, le jeune page-roi s’arrête à cheval au milieu du manège, ôte brusquement sa casquette pour me saluer dans la tribune où j’étais avec le baron de Damas et quelques Français, saute à terre léger et gracieux comme le petit Jehan de Saintré.

Henri est mince, agile, bien fait ; il est blond ; il a les yeux bleus avec un trait dans l’œil gauche qui rappelle le regard de sa mère. Ses mouvements sont brusques ; il vous aborde avec franchise ; il est curieux