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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/164

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

fils du roi Jean, étant à la chasse, un de ses chiens s’élançant après un cerf tomba du haut d’une colline dans un bassin d’eau bouillante. Ses hurlements firent accourir les chasseurs, et la source du Sprudel fut découverte. Un pourceau qui s’échauda dans les eaux de Tœplitz les indiqua à des pâtres.

Telles sont les traditions germaniques. J’ai passé à Corinthe ; les débris du temple des courtisanes étaient dispersés sur les cendres de Glycère ; mais la fontaine Pirène, née des pleurs d’une nymphe, coulait encore parmi les lauriers-roses où volait, au temps des Muses, le cheval Pégase. La vague d’un port sans vaisseaux baignait des colonnes tombées, dont le chapiteau trempait dans la mer, comme la tête de jeunes filles noyées étendues sur le sable ; le myrte avait poussé dans leur chevelure et remplaçait la feuille d’acanthe : voilà les traditions de la Grèce.

On compte à Carlsbad huit fontaines ; la plus célèbre est le Sprudel, découverte par le limier. Cette fontaine émerge de la terre entre l’église et la Tèple avec un bruit creux et une vapeur blanche ; elle saute par bonds irréguliers à six ou sept pieds de haut. Les sources de l’Islande sont seules supérieures au Sprudel, mais nul ne vient chercher la santé dans les déserts de l’Hécla, où la vie expire ; où le jour de l’été, sortant du jour, n’a ni couchant ni aurore ; où la nuit de l’hiver, renaissant de la nuit, est sans aube et sans crépuscule.

L’eau du Sprudel cuit les œufs et sert à laver la vaisselle ; ce beau phénomène est entré au service des ménagères de Carlsbad : image du génie qui se dégrade en prêtant sa puissance à des œuvres viles.