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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/184

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Nous sommes ainci à mon avis plus riches que tel qui a un tonne d’or, et il est. »

C’est vrai, mademoiselle, vous et je avons peu d’argent ; vous êtes contente, à ce qu’il paraît, et vous vous moquez d’une tonne d’or ; mais si par hasard je n’étais pas content, moi, vous conviendrez qu’une tonne d’or pourrait m’être assez agréable.

Au sortir de Bayreuth, on monte. De minces pins élagués me représentaient les colonnes de la mosquée du Caire, ou de la cathédrale de Cordoue, mais rapetissées et noircies, comme un paysage reproduit dans la chambre obscure. Le chemin continue de coteaux en coteaux et de vallées en vallées ; les coteaux larges avec un toupet de bois au front, les vallées étroites et vertes, mais peu arrosées. Dans le point le plus bas de ces vallées, on aperçoit un hameau indiqué par le campanile d’une petite église. Toute la civilisation chrétienne s’est formée de la sorte : le missionnaire devenu curé s’est arrêté ; les Barbares se sont cantonnés autour de lui, comme les troupeaux se rassemblent autour du berger. Jadis ces réduits écartés m’auraient fait rêver de plus d’une espèce de songe ; aujourd’hui, je ne rêve rien et ne suis bien nulle part.

Baptiste, souffrant d’un excès de fatigue, m’a contraint de m’arrêter à Hohlfeld. Tandis qu’on apprêtait le souper, je suis monté au rocher qui domine une partie du village. Sur ce rocher s’allonge un beffroi carré ; des martinets criaient en rasant le toit et les faces du donjon. Depuis mon enfance à Combourg, cette scène composée de quelques oiseaux et d’une vieille tour ne s’était pas reproduite ; j’en eus le cœur tout serré. Je descendis à l’église sur un terrain pen-