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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/275

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

(haubans) des nefs, et les bannières dont il avoit tant de belles. Ne oncques plus belles estoires (flottes) ne partit de nul port. »

Ma scène du matin à Venise me fait encore souvenir de l’histoire du capitaine Olivet et de Zulietta, si bien racontée :

« La gondole aborde, dit Rousseau, et je vois sortir une jeune personne éblouissante, fort coquettement mise et fort leste, qui dans trois sauts fut dans la chambre ; et je la vis établie à côté de moi avant que j’eusse aperçu qu’on y avait mis un couvert. Elle était aussi charmante que vive, une brunette de vingt ans au plus. Elle ne parlait qu’italien ; son accent seul eût suffi à me tourner la tête. Tout en mangeant, tout en causant, elle me regarde, me fixe un moment, puis s’écriant : « Bonne Vierge ! Ah ! mon cher Bremond, qu’il y a longtemps que je ne t’ai vu ! » se jette entre mes bras, colle sa bouche contre la mienne, et me serre à m’étouffer. Ses grands yeux noirs à l’orientale lançaient dans mon cœur des traits de feu ; et quoique la surprise fit d’abord quelque diversion, la volupté me gagna très rapidement .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .   Elle nous dit que je ressemblais à s’y tromper à M. de Bremond, directeur des douanes de Toscane : qu’elle avait raffolé de ce M. de Bremond ; qu’elle en raffolait encore ; qu’elle l’avait quitté parce qu’elle était une sotte ; qu’elle me prenait à sa place ; qu’elle voulait m’aimer parce que cela lui convenait ; qu’il fallait, par la même raison, que je l’aimasse tant que cela lui conviendrait ; et que, quand elle me planterait là, je pren-