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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/319

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

faire crédit à Votre Majesté, ni à moi non plus, et nous pourrions bien être coffrés cette nuit. »

Pour moi, je dirai comme Candide : « Messieurs, pourquoi êtes-vous tous rois ? Je vous avoue que ni moi ni Martin ne le sommes. »

Il était onze heures du soir ; j’espérais avoir gagné mon procès et obtenu de Madame mon laisser-passer. J’étais loin de compte ! Madame ne quitte pas si vite une volonté ; elle ne m’avait point interrogé sur la France, parce que, préoccupée de ma résistance à son dessein, c’était là son affaire du moment. M. de Saint-Priest, entrant dans ma chambre, m’apporta la minute d’une lettre que Son Altesse Royale se proposait d’écrire à Charles X. « Comment, m’écriai-je, Madame persiste dans sa résolution ? Elle veut que je porte cette lettre ? mais il me serait impossible, même matériellement, de traverser l’Allemagne ; mon passe-port n’est que pour la Suisse et l’Italie.

« — Vous nous accompagnerez jusqu’à la frontière d’Autriche, repartit M. de Saint-Priest ; Madame vous prendra dans sa voiture ; la frontière franchie, vous rentrerez dans votre calèche et vous arriverez trente-six heures avant nous. »

Je courus chez la princesse ; je renouvelai mes instances : la mère de Henri V me dit : « Ne m’abandonnez pas. » Ce mot mit fin à la lutte ; je cédai ; Madame parut pleine de joie.[1] Pauvre femme ! elle

  1. Chateaubriand écrivait le lendemain à Mme Récamier : « Jeudi, 19 septembre 1833. — Tout est changé. On veut absolument que j’aille jusque au terme du voyage où l’on n’ose arriver sans moi. Toutes mes résistances ont été inutiles ; il a fallu me résigner. Je pars donc. Cela prolongera mon absence d’un mois. Je vais envoyer Hyacinthe à Paris, qui vous portera