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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/378

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

que je faisais à chaque anniversaire précédent. Cette année 1833, soumis à mes vagabondes destinées, la Saint-François me trouve errant. J’aperçois au bord du chemin une croix ; elle s’élève dans un bouquet d’arbres, qui laissent tomber en silence, sur l’Homme-Dieu crucifié, quelques feuilles mortes. Vingt-sept ans en arrière, j’ai passé la Saint-François au pied du véritable Golgotha.

Mon patron aussi visita le saint tombeau. François d’Assise, fondateur des ordres mendiants, fit faire, en vertu de cette institution, un pas considérable à l’Évangile, et qu’on n’a point assez remarqué : il acheva d’introduire le peuple dans la religion ; en revêtant le pauvre d’une robe de moine, il força le monde à la charité, il releva le mendiant aux yeux du riche, et dans une milice chrétienne prolétaire il établit le modèle de cette fraternité des hommes que Jésus avait prêchée, fraternité qui sera l’accomplissement de cette partie politique du christianisme non encore développée, et sans laquelle il n’y aura jamais de liberté et de justice complète sur la terre.

Mon patron étendait cette tendresse fraternelle aux animaux mêmes sur lesquels il paraîtrait avoir reconquis par son innocence l’empire que l’homme exerçait sur eux avant sa chute ; il leur parlait comme s’ils l’eussent entendu ; il leur donnait le nom de frères et de sœurs. Près de Baveno, comme il passait, une multitude d’oiseaux s’assemblèrent autour de lui ; il les salua et leur dit : « Mes frères ailés, aimez et louez Dieu, car il vous a vêtus de plumes et vous a donné le pouvoir de voler dans le ciel. » Les oi-