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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/64

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sans. Dieu soit loué ! ils n’ont que des chapeaux, et les infâmes bonnets de coton de nos bourgeois leur sont inconnus.

Tous les jours il y a, ut mos, spectacle à Waldmünchen, et j’y assistais à la première place. À six heures du matin, un vieux berger, grand et maigre, parcourt le village à différentes stations ; il sonne d’une trompe droite, longue de six pieds, qu’on prendrait de loin pour un porte-voix ou une houlette. Il en tire d’abord trois sons métalliques assez harmonieux, puis il fait entendre l’air précipité d’une espèce de galop ou de ranz des vaches, imitant des mugissements de bœufs et des rires de pourceaux. La fanfare finit par une note soutenue et montante en fausset.

Soudain débouchent de toutes les portes des vaches, des génisses, des veaux, des taureaux ; ils envahissent en beuglant la place du village ; ils montent ou descendent de toutes les rues circonvoisines, et, s’étant formés en colonne, ils prennent le chemin accoutumé pour aller paître. Suit en caracolant l’escadron des porcs, qui ressemblent à des sangliers et qui grognent. Les moutons et les agneaux placés à la queue, font en bêlant la troisième partie du concert ; les oies composent la réserve : en un quart d’heure tout a disparu.

Le soir, à sept heures, on entend de nouveau la trompe ; c’est la rentrée des troupeaux. L’ordre de la troupe est changé : les porcs font l’avant-garde, toujours avec la même musique ; quelques-uns, détachés en éclaireurs, courent au hasard ou s’arrêtent à tous les coins. Les moutons défilent ; les vaches, avec leurs fils, leurs filles et leurs maris, ferment la marche ; les