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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/65

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

oies dandinent sur les flancs. Tous ces animaux regagnent leurs toits, aucun ne se trompe de porte ; mais il y a des cosaques qui vont à la maraude, des étourdis qui jouent et ne veulent pas rentrer, de jeunes taureaux qui s’obstinent à rester avec une compagne qui n’est pas de leur crèche. Alors viennent les femmes et les enfants avec leurs petites gaules ; ils obligent les traînards à rejoindre le corps, et les réfractaires à se soumettre à la règle. Je me réjouissais de ce spectacle, comme jadis Henri IV à Chauny s’amusait du vacher nommé Tout-le-Monde qui rassemblait ses troupeaux au son de la trompette.

Il y a bien des années qu’étant au château de Fervacques, en Normandie, chez madame de Custine, j’occupais la chambre de ce Henri IV : mon lit était énorme : le Béarnais y avait dormi avec quelque Florette : j’y gagnai le royalisme, car je ne l’avais pas naturellement. Des fossés remplis d’eau environnent le château. La vue de ma fenêtre s’étendait sur des prairies que borde la petite rivière de Fervacques. Dans ces prairies j’aperçus un matin une élégante truie d’une blancheur extraordinaire ; elle avait l’air d’être la mère du prince Marcassin. Elle était couchée au pied d’un saule sur l’herbe fraîche, dans la rosée ; un jeune verrat cueillit un peu de mousse fine et dentelée avec ses défenses d’ivoire, et la vint déposer sur la dormeuse ; il renouvela cette opération tant de fois que la blanche laie finit par être entièrement cachée : on ne voyait plus que des pattes noires sortir du duvet de verdure dans lequel elle était ensevelie.

Ceci soit dit à la gloire d’une bête mal famée dont je rougirais d’avoir parlé trop longtemps, si Homère