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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/92

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Cependant l’opposition avait différentes nuances ; le parti Gontaut n’était pas tout à fait le parti Guiche ; la marquise de Bouillé, transfuge du parti Berry, se rangeait du côté du triumvirat avec l’abbé Moligny[1]. Madame la dauphine, placée à la tête des impartiaux, n’était pas précisément favorable au parti de la jeune France, représenté par M. Barrande ; mais comme elle gâtait le duc de Bordeaux, elle penchait souvent de son côté et le soutenait contre son gouverneur.

Madame d’Agoult[2], dévouée corps et âme au trium-

  1. L’abbé de Moligny était un intime ami de l’abbé Dupanloup et son collègue dans les catéchismes de la Madeleine et auprès de Madame la Dauphine ; tous deux étaient attachés à l’aumônerie de la princesse. L’abbé Dupanloup avait en outre été choisi, dans les dernières années de la Restauration, pour être le catéchiste et le confesseur du jeune duc de Bordeaux. Il résolut de le suivre en exil, après les journées de Juillet, et de lui consacrer son dévouement, sa vie. Lorsqu’il en fit la demande, il apprit que le choix de la famille royale s’était déjà porté sur l’abbé de Moligny. Il cessa dès lors toute démarche et écrivit à son ami : «… Je viens de lire une lettre que tu écris à Emmanuel (M. l’abbé de Borie), et qui m’apprend que ton sort est heureusement fixé ; je dis heureusement, car bien que tout soit et me paraisse malheur aujourd’hui, j’appelle volontiers bonheur la fidélité agréée et le dévouement possible à Celui qui seul sur la terre représente en ce moment la vérité, la religion et la justice… Il m’a paru que je devais à notre amitié (et c’est à peu près le plus grand sacrifice que je puisse lui faire) de ne pas offrir une concurrence et un choix à faire, dont sans contredit tu étais plus digne que moi, mais qu’enfin j’ai cru ne devoir embarrasser par aucun obstacle… Adieu, mon cher ami, j’envie ton sort : la Providence l’a permis et l’a fait. Je ne puis m’en plaindre. Duo curruut discipuli : Joannes apostolus cucurrit Petro citius ; venit prius. C’est tout simple : Heureux celui à qui cela arrive, voilà tout ; que l’autre fasse ensuite de son mieux », (Vie de Mgr Dupanloup, par l’abbé Lagrange, t. I, p. 115).
  2. La vicomtesse d’Agoult était la compagne habituelle de Madame la Dauphine.