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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/93

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

virat, n’avait d’autre crédit auprès de la dauphine que celui de la présence et de l’importunité.

Après avoir fait ma cour à madame de Guiche, je me rendis chez madame de Gontaut. Elle m’attendait avec la princesse Louise.

Mademoiselle rappelle un peu son père : ses cheveux sont blonds ; ses yeux bleus ont une expression fine ; petite pour son âge, elle n’est pas aussi formée que la représentent ses portraits. Toute sa personne est un mélange de l’enfant, de la jeune fille et de la princesse : elle regarde, baisse les yeux, sourit avec une coquetterie naïve mêlée d’art ; on ne sait si on doit lui dire des contes de fées, lui faire une déclaration, ou lui parler avec respect comme à une reine. La princesse Louise joint aux talents d’agrément beaucoup d’instruction : elle parle anglais et commence à savoir bien l’allemand ; elle a même un peu d’accent étranger, et l’exil se marque déjà dans son langage.

Madame de Gontaut me présenta à la sœur de mon petit roi ; innocents fugitifs, ils avaient l’air de deux gazelles cachées parmi des ruines. Mademoiselle Vachon, sous-gouvernante, fille excellente et distinguée, arriva. Nous nous assîmes et madame de Gontaut me dit : « Nous pouvons parler, Mademoiselle sait tout ; elle déplore avec nous ce que nous voyons. »

Mademoiselle me dit aussitôt : « Oh ! Henri a été bien bête ce matin : il avait peur. Grand-papa nous avait dit : Devinez qui vous verrez demain : c’est une puissance de la terre ! Nous avions répondu : Eh bien ! c’est l’empereur. Non, a dit grand-papa. Nous avons cherché ; nous n’avons pas pu deviner.