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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/129

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pour ce qui est trop beau pour être vrai, l’extase que l’homme a perdue depuis l’Éden et qui lui reviendra avec la Vision Béatifique, dans un étonnement si fort qu’il durera éternellement. Depuis la ruine de son père par une bande d’escrocs trop riches pour être punis, la vie de cette jeune fille s’était obscurcie peu à peu, elle avait renoncé à la lutte : toute déchéance nouvelle lui semblait naturelle. Si on avait emmené son père pour le pendre, elle eût été indignée, malheureuse, amère, elle n’eût pas été surprise.

Mais quand elle le vit revenir, tout souriant, dans un hansom-cab, sa surprise fut absolue. Elle n’avait jamais vu un être vivant échapper au piège dans lequel elle le croyait tombé : jamais elle n’avait vu de traces de pas revenant de l’antre de l’administration. Elle n’aurait pas été plus étonnée de voir le soleil rétrograder vers l’Est ou la Tamise remonter subitement vers sa source. Mais il n’y avait aucun doute ; c’était bien son père, allongé dans le fond de la voiture et souriant… De même qu’il était monté en faisant le geste d’enfiler des gants invisibles, de même il s’adossait avec le geste de fumer un cigare absent. Pendant qu’elle le regardait, elle s’aperçut que le cocher venait de la saluer, d’un mouvement bien élégant pour un chapeau si lamentable. Cela lui porta le dernier coup, car elle reconnut les cheveux incolores mais bien peignés de M. Murrel, ce visiteur excentrique qui avait frappé à sa porte quelques heures auparavant.

Le Docteur Hendry sauta de la voiture avec une grâce juvénile, et sa main chercha son gousset vide d’un geste automatique. Il revivait les beaux jours de sa jeunesse.

— N’en parlez pas, dit Murrel vivement en remet-