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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/161

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Il n’y avait donc aucun précédent historique véritable à l’état de choses qui, sous l’influence du bibliothécaire émancipé, commença de se développer rapidement à Seawood-Abbey.

Cette dernière idée, à savoir d’entrer en communication avec les personnes voisines en envoyant des projectiles siffler à leurs oreilles ou briser leurs vitres, semblait s’être emparée tout particulièrement de l’imagination de Herne, et ce fut par ce procédé que lui et tout son groupe de disciples sympathiques (qui commençaient à prendre la plaisanterie fort au sérieux) distribuèrent à un grand nombre de personnes leur proclamation d’un nouveau régime. Dire en détail ce qu’était ce nouveau régime exigerait la transcription d’un nombre considérable de rouleaux ou de bandes de papier, qui étaient expédiés aux voisins de cette façon rapide, sinon pratique. Ils portaient le titre de « Ligue du Lion », et ils appelaient tous les citoyens à imiter les meilleures qualités du roi Richard Ier et de ses Croisés, dans des conditions qui paraissaient peu favorables à cette entreprise. Le citoyen apprenait avec surprise que l’Angleterre traversait une crise dans laquelle seul le courage moral pouvait la sauver, quand ce ne serait que le courage de tendre un arc au hasard pour expédier quelques lignes à un ami. Mais il y avait dans ces papiers beaucoup plus encore : une grande sincérité, une éloquence juvénile, et une protestation contre le pessimisme destructeur des grands réactionnaires qui déclaraient que l’ère de la Chevalerie était passée.

La plupart de ceux qui reçurent ces missives s’en amusèrent ; d’autres en furent ennuyés ; mais quelques-uns, chose étrange, furent soulagés et rafraîchis comme s’ils avaient vu un jeu de leur enfance, un idéal de leur jeunesse, se lever soudain du tombeau.