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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/176

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Le regard de Lord Eden rencontra ces yeux clairs comme les eaux limpides d’un étang, et il murmura :

— Cet homme est fou. Il est dangereux pour les gens mal équilibrés que leur rêve se réalise. Mais la folie d’un homme peut être le salut d’une société.

— Voilà qui est bien ! s’écria Julian Archer, frappant le pommeau de son épée, avec son air assuré et cordial. C’est un grand jour, et dont le monde entendra parler. Les gens qui nous entourent vont s’apercevoir que nous nous sommes sérieusement mis à l’œuvre. Voilà qui va débusquer Braintree et toute sa racaille de goujats et les faire courir comme des rats.

Rosamund avait toujours l’air d’une statue souriante, mais Olive derrière elle semblait sombre. Elle prit brusquement la parole et sa voix claire sonna comme de l’acier :

— Ce n’est pas un goujat, c’est un ingénieur et il en sait beaucoup plus que vous. Qu’êtes-vous donc tous, à ce compte-là ? Un ingénieur vaut bien un bibliothécaire, il me semble.

Il y eut un silence de mort. Archer leva les yeux comme pour provoquer le ciel à foudroyer le blasphémateur ; mais la plupart des dames et des messieurs regardèrent la pointe aiguë de leurs souliers à la poulaine, car ils trouvaient que c’était pire qu’un blasphème : dans les circonstances présentes, c’était certainement un manque de tact absolu.

Quoique les groupes eussent commencé à se disperser et à se mêler, le Roi d’Armes n’avait pas encore quitté son trône. On devait bientôt s’en apercevoir. Il ne prêta aucune attention à la femme qui venait de l’insulter, mais il tourna un front sourcilleux vers Julian Archer. Une sorte d’obscur frisson avertit