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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/177

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tout le monde que, dans un esprit au moins, la royauté était une réalité.

— Sir Julian, dit sévèrement le Roi d’Armes, je crois que vous avez très mal compris vos livres de vénerie. Vous paraissez ignorer que nous sommes retournés vers des jours plus vaillants et meilleurs, et que nous avons renoncé aux temps où les nobles hommes tiraient leur orgueil de chasser de la vermine. Notre mentalité est celle des âges où des animaux royaux pouvaient faire tête et tuer les chasseurs : le grand sanglier et le noble cerf. Nous appartenons à un monde qui sait respecter ses ennemis, seraient-ils des animaux. Je connais John Braintree : jamais homme plus brave n’a foulé cette terre. Pourrions-nous combattre pour notre foi et ricaner parce qu’il combat pour la sienne ? Allez, et tuez-le si vous l’osez, mais si c’est lui qui vous tue, votre mort vous honorera autant que votre langue vous déshonore aujourd’hui.

Pendant un instant, l’illusion fut complète et frappante. Il avait parlé spontanément et très simplement, ainsi que Richard Cœur de Lion aurait parlé à un courtisan qui aurait taxé Saladin de lâcheté.

Dans cette foule silencieuse, il y eut un changement plus surprenant encore, mais que peu remarquèrent : le pâle visage d’Olive Ashley s’était empourpré et un cri, presque un halètement lui avait été arraché :

— Ah ! Maintenant, je sais que c’est vrai !

À partir de cet instant, elle suivit légèrement le cortège bigarré, avec une sorte de soulagement. Elle parut s’éveiller pour la première fois à tout ce ballet décoratif, si proche pourtant de ses anciens rêves, et y prendre sa part sans plus de doute ni de chagrin. Ses yeux noirs brillaient comme à un sou-