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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/192

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ble populace française. Olive entendit les gens causer autour d’elle et citer des noms, comme les gens de sa classe citaient les noms d’hommes politiques ; elle s’aperçut qu’elle n’en connaissait aucun, excepté celui de Braintree et celui d’un autre dont le nom avait été capricieusement choisi par les journaux et tourné en ridicule comme une sorte de bouffon furieux. Mais on parlait des hommes d’État de cet État souterrain avec un air de familiarité calme, qui lui faisait sentir qu’elle tombait de la lune.

De temps en temps, Braintree était mentionné comme le meneur principal, et assez souvent critiqué, ce qui agaçait beaucoup Olive ; elle éprouvait un petit frisson de plaisir à l’entendre louer. Harton, l’homme qui était dépeint dans les journaux comme le brandon de la Révolution Rouge, était volontiers blâmé pour son extrême prudence et ses ménagements envers les patrons. Quelques-uns même l’accusaient d’être à la solde des capitalistes.

Car jamais, dans un journal, un livre ou une revue de l’Angleterre moderne, quelque chose qui ressemblât de près ou de loin à une histoire du mouvement des Trade-Unions n’était tombé sous les yeux d’une femme intelligente et cultivée comme Olive Ashley. En ce qui la concernait, toute cette immense transformation historique s’était accomplie derrière un rideau, et ce rideau était littéralement une feuille de papier, une page de journal. Elle ne savait rien des divergences entre Trade-Unionistes, rien des vraies fautes des Trade-Unions, pas même le nom des hommes qui dirigeaient ces masses aussi nombreuses que les armées de Napoléon. La rue lui semblait remplie de figures inconnues, d’autant plus étrangères qu’elles lui étaient familières. Elle aperçut la grosse forme encombrante du conducteur d’omnibus avec