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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/204

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— Vous êtes le seul homme de la maison ! s’écria Rosamund ; et elle s’aperçut tout à coup qu’elle tremblait de la tête aux pieds.

La crânerie de Herne tomba brusquement ; il perdit soudain tout empire sur lui-même et proféra une sorte de cri.

— Ne me dites pas cela, à moi ; je suis faible et le plus faible de tous, au moment où je devrais tenter d’être fort.

— Vous n’êtes pas faible du tout, dit-elle retrouvant la fermeté de sa voix.

— Je suis fou, dit-il, je vous aime…

Elle resta muette. Il lui saisit les deux mains et ses bras frémirent jusqu’aux épaules comme sous une décharge électrique.

— Qu’est-ce que je fais ? cria-t-il durement. Moi, vous dire cela, quand tant d’hommes doivent vous l’avoir dit. Qu’allez-vous penser ?

Elle resta penchée en avant et le regardant fixement :

— Je répète ce que j’ai dit, vous êtes le seul homme digne de ce nom.

— Vos yeux m’aveuglent, dit-il.

Ils ne parlèrent plus, mais l’immense paysage autour d’eux parlait à leur place. Ses puissantes assises s’élevaient jusqu’aux bornes colossales des montagnes ; le grand vent du large balançait les cimes des arbres royaux ; et toute cette vallée d’Avalon, qui a vu les rassemblements des héros et la rencontre d’amoureux immortels, était pleine d’un mouvement pareil au piétinement des chevaux et aux sonneries des trompettes, quand les rois partent pour la bataille et que les reines gouvernent à leur place.

Ainsi, ils se tinrent pour un moment sur la cime du monde, au plus haut sommet de nos félicités humai-