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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/240

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voulaient rien d’autre ; rien de ce que nous désirons, de ce que nous connaissons de meilleur… Ce que nous avons perdu, c’est le Bien lui-même. Aujourd’hui, il ne nous reste que le mal à haïr, et remercions Dieu de le haïr !

Elle désigna soudain le monument, dont les plis et les circonvolutions étaient dessinés par la pointe argentée du clair de lune, comme la phosphorescence souligne les yeux saillants de quelque monstre marin.

— Il ne nous reste que le Dragon. Combien de fois j’ai regardé celui-ci ; je l’ai détesté et je ne l’ai jamais compris. Droit et bien au-dessus s’élevait Saint Michel ou Sainte Marguerite, qui le domptait et le terrassait ; mais c’est le conquérant qui a disparu. Nous n’avons pas essayé de reconstituer l’image qui s’élevait ici. Nous dansions autour, cela nous suffisait. Jadis brûlait dans cette enceinte un grand feu de joie et d’amour dont l’esprit rayonnait au loin ; les hommes vivaient dans sa chaleur ; ils voulaient posséder le seul bien réel, digne d’être désiré pour lui-même. Aujourd’hui, les meilleurs ne font qu’une œuvre négative. Les uns combattent pour la vérité là où elle n’est pas ; les autres combattent pour l’honneur là où il n’est pas. Ils ont mille fois raison, mais cela aboutit à ce que la vérité et l’honneur se combattent, comme ce pauvre Jack et Michaël ! Nous n’avons plus aucune doctrine ni aucun asile où ces vertus soient heureuses, où ces vertus soient simplement elles-mêmes. J’aime Jack, et Jack aime la justice, mais il aime la justice là où elle n’est pas. Il doit y avoir une manière de l’aimer là où elle est…

— Où la trouver ? dit Rosamund à voix basse.

— Comment le saurions-nous ? cria Olive, nous qui avons chassé les hommes qui savaient !