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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/245

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effet d’exterminer cette bête monstrueuse, de l’anéantir, de la détruire de telle sorte qu’il n’en reste plus rien ? Cette fureur insensée, elle est dans toutes les âmes, dans les âmes mêmes de ces hommes qui semblent adonnés à la piété ! Sachons donc rougir en nous rappelant les préceptes évangéliques ; ce sont des mots qui se trouvent dans l’Écriture, voilà tout, mais vous n’en voyez nulle part la pratique dans les actions. Mais enfin, quelles excuses spécieuses fait-on généralement entendre ?

J’ai des enfants, dit l’un, et j’ai peur d’être réduit un jour à manquer de pain, à n’avoir plus loin à subir la honte de tendre la main aux autres, à mendier. Voilà donc pourquoi vous forcez les autres à mendier ? Je ne puis pas, dit celui-là, supporter la faim. Voilà donc pourquoi vous la faites supporter aux autres ? Vous savez combien il est douloureux de mendier, douloureux d’être rongé par la faim ? Eh bien ! alors, épargnez vos frères. Vous rougissez d’avoir faim, répondez-moi, et vous ne rougissez pas de ravir le bien d’autrui ? Vous craignez que la faim ne vous ronge, et vous ne craignez pas que les autres soient rongés par la faim. Certes, il n’y a pas à rougir de souffrir la faim, il n’y a là aucun sujet de reproche, mais forcer les autres à la subir, ce n’est pas seulement une honte, mais un crime qui mérite le plus rigoureux des châtiments. Toutes vos raisons ne sont que vains prétextes, verbiage, puérilités. La preuve que vous ne pensez pas à vos enfants, c’est la foule innombrable de ceux qui n’ont pas d’enfants, qui n’en auront jamais, et qui cependant se tourmentent tout autant, et sont misérables, et entassent l’or, et grossissent leur fortune comme s’ils avaient des milliers d’enfants à qui ils voudraient la laisser. Non, ce n’est pas la préoccupation pour les enfants qui produit l’avidité, l’avarice, c’est une maladie de l’âme. Voilà pourquoi tant d’hommes sans enfants sont possédés de cette fureur des richesses, tandis que d’autres, avec une nombreuse famille, méprisent la fortune qu’ils ont : ceux-là seront vos accusateurs au dernier jour. Si la nécessité d’assurer l’existence de vos enfants était la seule cause de votre désir d’amasser, ceux-là aussi devraient éprouver ce même désir, cette même passion ; s’ils ne la ressentent pas, ce n’est pas notre inquiétude pour nos enfants, c’est notre amour de l’argent qui nous rend insensés.

Mais quels sont-ils donc, me demande-t-on, ceux qui ont des enfants et méprisent les richesses ? lis sont nombreux, et partout ; si vous voulez, je vous parlerai des anciens hommes. Jacob n’avait-il pas douze enfants ? N’a-t-il pas mené la vie d’un mercenaire ? N’a-t-il pas eu à souffrir de la part de son beau-père ? N’a-t-il pas été obligé de lui faire des reproches ? (Gen. 31,7-8, 36-38) Le grand nombre de ses enfants lui a-t-il jamais inspiré de mauvaises pensées ? Et Abraham ? N’a-t-il pas eu, outre Isaac, un grand nombre d’autres enfants ? (Gen. 25,1-4) Eh bien ! ne faisait-il pas part de ses biens aux voyageurs ? Ne voyez-vous pas que non seulement il ne commettait pas l’injustice, mais qu’il savait renoncer à ses possessions, que non seulement il faisait du bien, mais qu’il consentait au tort que lui faisait son neveu ? C’est que savoir souffrir, en vue de Dieu, le tort qu’on vous fait en vous ravissant ce qui est à vous, suppose une vertu encore plus haute que de faire simplement le bien. Pourquoi ? C’est que la vertu ordinaire est un fruit de l’âme, un fruit de la volonté, d’où il suit qu’elle coûte peu ; mais, dans le cas d’un vol, il y a insulte et violence. Et il en coûte beaucoup moins de donner spontanément dix mille talents qu’on jette sans la moindre peine, que de se voir enlever trois oboles qu’on ne s’attendait pas à perdre. Voilà pourquoi la résignation est l’effet d’une sagesse plus parfaite. C’est un exemple que nous trouvons dans la vie d’Abraham : « Loth considéra tout le pays », dit l’Écriture, « et il était arrosé comme le paradis de Dieu, et il le choisit pour lui ». (Gen. 13,10-11) Et Abraham ne fit aucune objection. Comprenez-vous que non seulement il ne commettait pas l’injustice, mais qu’il la supportait ? Pourquoi accuses-tu tes enfants, ô homme ? Si Dieu nous a donné nos enfants, ce n’est pas pour piller le bien d’autrui. Prends garde d’irriter Dieu par tes paroles. Si tu dis que ce sont tes enfants qui font de toi un ravisseur, un homme cupide, j’ai peur que tu n’en sois privé comme d’ennemis conjurés pour te perdre. Dieu t’a donné tes enfants pour prendre soin de ta vieillesse, pour apprendre de toi la vertu.

4. Voilà pourquoi Dieu a constitué la race des hommes telle qu’elle est : il a agencé deux ressorts des plus énergiques : d’une part, il a établi les pères pour maîtres et docteurs ; d’autre