Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/514

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la justesse de la figure. Enhardi dès lors, il montre qu’elle est plus glorieuse que les réalités juives elles-mêmes. Or, si par cela seul que ce roi portait en lui la figure de Jésus-Christ, il se trouvait ainsi plus grand et plus remarquable non seulement que les prêtres, mais même que cet Abraham, d’où sortait la tribu des prêtres, que direz-vous de la Vérité ? Voyez-vous comme il prouve surabondamment la supériorité de Jésus-Christ ? – « Regardez », dit-il, « combien est grand celui à qui Abraham donna la dîme de ce qu’il y avait de meilleur ». Cette expression « de meilleur », fait allusion aux dépouilles. Et l’on ne peut dire qu’Abraham les ait partagées avec lui, parce qu’il aurait pris part au combat. Paul a soin de vous faire observer que le patriarche était revenu de la défaite des rois, quand il le rencontra. Ainsi, nous dit-il, le prince était chez lui, quand Abraham lui donna les prémices du butin conquis par ses travaux.
« Aussi ceux qui, étant de la race de Lévi, entrent dans le sacerdoce, ont droit, selon la loi, de prendre la dîme du peuplé, c’est-à-dire de leurs frères, quoique ceux-ci soient sortis d’Abraham aussi bien qu’eux (5) ». Telle est la dignité du sacerdoce, dit-il, que des hommes égaux à d’autres par les ancêtres, n’ayant avec eux qu’un seul et même père et principe de leur commune famille, se trouvent cependant préférés et privilégiés de beaucoup à l’égard des autres, puisqu’ils prélèvent la dîme sur eux. Or, si vous trouvez un personnage qui reçoive la dîme de dès privilégiés eux-mêmes, n’est-il pas vrai que ceux-ci descendent dès lors au rang des laïques, et que lui prend place parmi les prêtres ? Il y a plus : le roi de Salem n’avait pas, du côté de la naissance, l’égalité d’honneur avec eux ; il était d’une autre race. Aussi Abraham n’eût-il point donné la dîme à un étranger, s’il n’avait reconnu en lui une grande supériorité d’honneur. Mais, ô ciel ! Que vient de démontrer le grand apôtre ? Une vérité incroyable, plus étonnante que celle qu’il a énoncée dans l’épître aux Romains. Car dans cette épître, il se contente de déclarer qu’Abraham est le chef et le premier père de notre religion, comme de celle des Juifs. Mais ici il ose plus encore à l’égard de ce patriarche, il montre qu’un incirconcis l’emporte sur lui de beaucoup. Et quelle preuve en donne-t-il ? C’est que Lévi a donné la dîme. Abraham, dit-il, en a fait l’offrande. – Et que nous importe, à nous, diront les Juifs ? – Mais beaucoup, sans doute, car vous ne pouvez prétendre que les lévites soient au-dessus d’Abraham. « Or, celui qui n’a point de place dans leur généalogie, prit la dîme sur Abraham ». Et pour ne point passer légèrement sur ce fait, il ajoute : « Et il bénit celui qui avait reçu les promesses ». Ces promesses étaient incontestablement la gloire des Juifs : saint Paul montre qu’ils sont inférieurs à cet étranger, en honneur et en gloire, et cela au jugement de tout le monde. « Or ; il est incontestable que celui qui reçoit la bénédiction, est inférieur à celui qui la donne », c’est-à-dire, d’après l’estimation commune, ce qui est moindre est béni par ce qui est plus grand. Donc ce roi, figure de Jésus-Christ, est plus grand que le dépositaire même des promesses.
« En effet, dans la loi, ceux qui reçoivent la dîme sont des hommes mortels ; au lieu que celui qui la reçoit ici n’est représenté que comme vivant (8) ». Mais pour qu’on ne lui dise pas Pourquoi invoquer ces siècles si lointains ? Que fait à nos prêtres, qu’Abraham ait donné la dîme ? Parlez de ce qui nous regarde nous-mêmes ? il continue et ajoute : « Et pour ainsi dire » (Paul fait bien de ne pas parler affirmativement, de peur de blesser trop ses lecteurs), « pour ainsi dire, Lévi l’a payée aussi lui-même dans la personne d’Abraham, lui qui la reçoit des autres ». Comment l’a-t-il payée ? – « Parce qu’il était encore dans Abraham son aïeul, lorsque Melchisédech vint au-devant de ce patriarche ». Entendez : Lévi était en lui, bien qu’il ne fût pas encore né, et par son père, il a payé la dîme. Remarquez : il ne dit pas : « Les lévites », mais : « Lévi », choisissant ainsi ce qu’il y a de plus grand pour mieux faire ressortir la supériorité de Melchisédech.
Avez-vous compris quelle distance sépare Abraham de Melchisédech, qui n’est cependant que la figure de notre pontife ? Encore l’apôtre nous y fait-il voir une prééminence de pouvoir, et non de nécessité. L’un, en effet, donné la dîme qui est un droit sacerdotal, l’autre donne la bénédiction qui prouve un pouvoir de supériorité et d’excellence. Cette prééminence a – passé jusqu’aux descendants. Et voilà comme Paul, par une victoire admirable et glorieuse, renverse l’édifice du judaïsme. Voilà pourquoi il leur disait : « Vous êtes devenus faibles ». (Héb. 5,11) C’était une précaution qu’il prenait pour ne pas les faire regimber, en leur montrant trop brusquement la vérité. Telle est la prudence de Paul ; il n’aborde les questions qu’après y avoir préparé les esprits. Car l’esprit humain est difficile à persuader ; il demande pour être redressé plus de précautions que les plantés. On ne trouve en celles-ci que la nature des éléments et de la terre, qui obéit aux plains des laboureurs ; mais chez nous se rencontre la libre volonté de choisir, qui prend à son gré mille formes changeantes, et opte tantôt pour une chose, tantôt, pour l’autre, et qui a toujours une grande pente pour le mal.
3. Il nous faut donc constamment veiller sur nous-mêmes, pour ne jamais sommeiller. « Car », dit le Prophète, « il ne sommeillera pas, il ne dormira pas, celui qui garde Israël. N’exposez donc pas votre pied à chanceler ». (Ps. 120,4) Il n’a pas dit : Ne soyez pas ébranlés, mais n’exposez pas, ne donnez pas : donner, exposer, cela dépend de nous, à l’exclusion de toute autre puissance. Car si nous voulons nous maintenir fermes, debout, immobiles, nous ne serons pas ébranlés. Ces paroles du Prophète insinuent ce sens.
Mais quoi ? La puissance même de Dieu n’a-t-elle ici aucune action ? – Certainement tout au monde est soumis à la divine puissance, mais de telle sorte que, notre libre arbitre n’en est aucunement, blessé. – Mais alors, si tout dépend de Dieu, direz-vous, pourquoi nous attribue-t-il la faute ? – Aussi bien ai-je dit : De telle sorte cependant