Aller au contenu

Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/515

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que notre libre arbitre n’en est point blessé. L’œuvre dépend donc à la fois et de son pouvoir et de notre pouvoir. Il faut, en effet, que nous choisissions d’abord le bien, et après notre choix fait, Dieu apporte son concours. Il ne prévient pas nos volontés, pour ne pas anéantir notre liberté. Mais quand nous avons choisi, aussitôt il nous apporte un secours abondant.
Comment donc alors, si tel est notre pouvoir, Paul affirme-t-il que « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui « fait miséricorde ? » (Rom. 9,16) – Je réponds d’abord que saint Paul ne donne pas ici son sentiment personnel, mais il conclut d’après le but qu’il se propose et d’après les prémisses qu’il a posées. Il vient de dire : « Il est écrit : Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j’aurai pitié de celui de qui il me plaira d’avoir pitié » ; il conclut : « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu qui fait miséricorde ». – Pourquoi donc alors Dieu nous blàme-t-i1, objecterez-vous ?
C’est qu’il est permis de dire du principal auteur d’une couvre qu’il a fait l’œuvre tout entière. Oui, le premier choix, la volonté est notre fait à nous. Parfaire et conduire l’œuvre à sa fin, est la part de Dieu. Or, comme cette part, qui est de beaucoup la plus importante, se trouve être la sienne, Paul lui attribue tout, et en cela il se conforme à nos idées et à notre langage humain ; nous ne faisons pas autrement, en effet. Par exemple, nous voyons un édifice admirablement construit, nous le rapportons en entier à l’architecte, et cependant la construction n’est pas entièrement de lui, mais des ouvriers aussi, mais du propriétaire qui fournit les matériaux, mais d’une foule d’autres agents. Mais comme l’architecte a plus contribué que personne, nous le disons auteur du tout. C’est ce qui arrive ici. – De même encore, en présence d’une foule où il y a beaucoup de monde, nous disons Tout le monde est là ; et s’il y a peu de monde, nous disons qu’on ne voit personne. C’est ainsi que Paul a dit dans ce passage : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu, qui fait miséricorde ». II nous donne ainsi deux grandes et magnifiques leçons. La première, que nous ne devons pas nous enorgueillir de nos bonnes œuvres ;.la seconde, qu’il convient d’attribuer à Dieu la cause de nos saintes actions. Malgré votre course empressée, dit-il, malgré le zèle que vous déployez, ne regardez pas comme vôtre l’œuvre saintement faite. Car si vous n’obtenez pas le secours d’en haut, tout est vain. Toutefois, il est évident qu’avec cette aide puissante, vous atteindrez le but de votre effort : mais à la condition que vous saurez et courir et vouloir. L’apôtre ne dit pas : En vain courez-vous ! mais : En vain courez-vous, si vous croyez que tout dépend dé votre course, si vous n’attribuez encore plus le, succès à Dieu. Dieu n’a pas voulu que tout fût son couvre à lui seul, pour n’avoir pas l’air de nous couronner au hasard ; ni que tout vint de nous, pour ne pas nous exposer à l’orgueil. Car si, lorsque nous n’avons que la moindre part, nous concevons déjà un sentiment d’orgueil, un vain contentement de nous-mêmes, que ne ferions-nous pas si tout était en notre pouvoir ? Dieu a pris toutes les précautions possibles pour prévenir notre orgueil, Et d’ailleurs de combien de faiblesses sa main adorable nous a entourés, pour briser ainsi notre vaine gloire ? De combien de monstres il nous a environnés ? Car lorsque bien des gens s’écrient : Pourquoi ceci ? A quoi bon cela ? ils parlent contre les desseins de Dieu. Il vous a placés au sein de mille terreurs, et malgré cet état, vous n’avez pas encore d’humbles sentiments de vous-mêmes ; mais au moindre succès qui vous arrive, votre cœur s’enfle jusqu’au ciel !
4. Et voilà ce qui explique ces perpétuelles révolutions et ces misérables chutes, qui ne servent pas même à nous corriger. Voilà pourquoi les morts prématurées, bien que fréquentes, nous laissent encore l’orgueilleuse idée que personnellement nous sommes immortels, comme si le coup fatal ne devait jamais nous atteindre. De là nos rapines, nos attentats à la propriété d’autrui, comme si nous ne devions jamais en rendre compte. Ainsi nous bâtissons, comme si nous avions ici-bas une demeure permanente et éternelle, et ni la parole de Dieu qui retentit tous les jours à nos oreilles, ni les faits journaliers eux-mêmes ne nous servent de leçons. Il n’est pas un jour, pas une heure qui ne nous donne le spectacle de quelques convois funèbres. C’est en vain ! Rien ne peut toucher notre insensibilité. Nous ne pouvons, nous ne voulons même pas nous amender par les malheurs d’autrui. Alors seulement nous rentrons en nous-mêmes, quand seuls nous avons à gémir ; et si Dieu retient la main qui nous frappe, nous relevons aussitôt la nôtre pour commettre le mal.
Personne n’a de goût pour les choses spirituelles ; personne ne méprise la terre, personne ne regarde le ciel. Mais semblables à l’animal immonde dont l’œil abaissé cherche la terre, que son ventre y incline, qui se roule dans la fange, des hommes, et en, grand nombre, et sans même en être affectés, se souillent d’une boue sans nom ; car mieux vaut se souiller de fange que de péché. Ainsi souillé ; on peut être lavé bientôt et redevenir semblable à celui qui ire s’est pas d’abord plongé dans le bourbier. Mais celui qui se précipite dans le cloaque du péché, y contracte une souillure que l’eau ne saurait effacer, et qui exige bien du temps, une pénitence parfaite, des larmes et des sanglots, plus de gémissements et de plus amers que ceux que vous faites entendre sur les têtes les plus chères. Il est, en effet, telle ordure qui nous arrive du dehors et dont nous sommes bientôt débarrassés ; mais celles-ci naissent au-dedans de nous, et c’est à peine si tous nos efforts nous en purifient.
« C’est du cœur en effet », a dit Jésus-Christ, « que sortent les mauvaises pensées, les fornications, les adultères, les vols, les faux témoignages ». (Mt. 15,19) Aussi le Prophète s’écriait : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu ». (Ps. 1,12) Et un autre : « Lave les vices de ton cœur, ô Jérusalem ! » (Jer. 4,14) Vous voyez ici encore que le bien dépend et de nous et