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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/575

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« Nous viendrons en lui, mon père et moi, et nous « ferons en lui notre demeure ». (Jn. 14,23) Qu’ai-je donc besoin de miracles sur le soleil et la lune, puisque le Seigneur et Maître de ces brillantes créatures, descend vers moi et y prend même son domicile fixe et constant ? Oui, que m’importe tout le reste ? En quoi ai-je besoin des astres mêmes ? Il sera mon soleil et ma lune, ma lumière enfin ! Car, répondez-moi : si vous étiez admis au palais impérial, que voudriez-vous de préférence ? Serait-ce de pouvoir métamorphoser un des objets qui s’y trouvent, ou de vous unir avec le souverain même, et par une amitié si intime, que vous le décideriez à descendre jusque chez vous ? Cette faveur ne vous paraîtrait-elle pas bien plus belle que cette autre vaine puissance ? Il ne faut plus s’étonner des miracles du Christ, si Josué qui n’était qu’un homme, en a fait d’aussi grands par un simple commandement. On répondra que Jésus-Christ ne prie pas son Père, mais qu’il agit par sa propre autorité. – C’est bien ; déclarez qu’il ne prie pas son père, et qu’il agit d’autorité ; à mon tour, je vous interrogerai, ou plutôt, je vous enseignerai avec certitude qu’il a prié cependant ; donc cette prière était le rôle de son abaissement et de son incarnation ; car il n’était pas inférieur sans doute à l’autre Jésus, fils de Navé ; il pouvait donc nous instruire sans prier lui-même ? – Mais voici : Qu’il vous arrive d’entendre un maître de lecture balbutier, épeler les lettres et les syllabes ; vous ne direz pas que c’est un ignorant ? Et s’il demande : Où est cette lettre ? vous savez qu’il n’interroge pas parce que lui-même ignore, mais parce qu’il veut instruire son élève. Ainsi Jésus-Christ priait sans avoir besoin de prière, mais pour vous déterminer à être assidu et appliqué à ce devoir, à prier sans relâche, avec pureté de cœur, avec une extrême vigilance. Et cette vigilance ne consiste pas seulement à vous éveiller la nuit, mais à être encore sobres et purs dans vos prières de la journée. Voilà bien être vraiment vigilant. Car il peut arriver que, tout en priant la nuit, on ne soit encore qu’un être endormi, et que de jour on veille, même sans prier ; tel est celui qui dirigera son cœur vers Dieu, pensant avec qui il a l’honneur de s’entretenir, et à qui vont monter ses paroles ; celui qui se souviendra que les anges sont là, pénétrés de crainte et de tremblement, tandis que lui-même s’étire et bâille en approchant de Dieu.
Les prières sont des armes puissantes, quand on les fait avec le cœur et l’intention requise. Et pour vous en faire comprendre le pouvoir, jugez-en par ce fait : que l’impudence et l’injustice, la cruauté et l’audace déplacée cèdent pourtant à des prières assidues : témoin l’aveu du juge inique de l’Évangile (Lc. 8,6) La prière triomphe aussi de la paresse ; et ce que l’amitié n’obtient pas, une demande assidue et importune l’arrache ; s’il ne lui accorde pas la chose à titre « d’ami », dit Notre-Seigneur, « il se lèvera cependant pour la lui donner, afin de se défaire de ce solliciteur effronté » (Lc. 11,8) ; l’assiduité lui fera mériter une grâce dont il n’était pas digne d’ailleurs. « Il n’est pas bien », disait Notre-Seigneur, « de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens. – Sans doute, Seigneur », répondait la chananéenne, « mais les petits chiens pourtant mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». (Mt. 15,26, 27)
5. Appliquons-nous donc à la prière. Elle nous fournit, je l’ai dit déjà, des armes puissantes, mais à la condition qu’elle se fasse attentivement et assidûment, sans vaine gloire, avec un cœur pur et une parfaite sincérité. La prière triomphe des guerres mêmes, elle comble de grâces toute une nation bien qu’indigne. « J’ai entendu leur gémissement », dit le Seigneur, « et je suis descendu pour les délivrer ». (Ex. 3,8) La prière est un médicament de salut, un antidote contre le péché, un remède aux fautes commises. Cette veuve laissée seule au monde, Anne la prophétesse, n’avait pas d’autre occupation que de prier. Nous gagnerons tout, en effet, si nous prions avec humilité, frappant notre poitrine comme le Publicain, empruntant même ses paroles et disant avec lui : « Ayez pitié de moi qui ne suis qu’un pécheur ».(Lc. 18,13) Car bien que nous ne soyons pas des publicains, nous avons d’autres péchés non moindres que les leurs. Ne me dites pas que vous avez péché seulement en matière légère : toute matière défendue offre la nature du péché. On appelle homicide tout aussi vraiment l’assassin de petits enfants, que le meurtrier d’un homme fait ; on est cupide quand on vole le prochain pour s’enrichir, que les fraudes soient petites, ou qu’elles soient considérables ; le ressentiment d’une injure reçue n’est pas une simple faute, mais un grand péché. « Car ceux qui se souviennent avec rancune d’une injure reçue, prennent une route qui conduit à la mort » (Ps. 12,28) ; « et celui qui sans raison se fâche contre son frère, s’expose au feu de l’enfer » (Mt. 5,22), ainsi que celui qui traite son frère de fou et d’insensé ; ainsi enfin qu’une foule d’autres pécheurs. Nous allons même jusqu’à participer indignement à des sacrements merveilleux et redoutables, sans cesser de nous permettre l’envie, la cruelle détraction. Quelques-uns d’entre nous s’enivrent même souvent. Or une seule de ces fautes suffit à nous chasser du céleste royaume ; et quand elles s’entassent les unes sur les autres, quelle défense peut nous rester encore ?
Oui, mes frères, nous avons besoin, et à un bien haut degré, de pénitence, de prière, de patience, d’attention persévérante, pour gagner enfin les biens qui nous sont promis. Que chacun de nous s’écrie donc : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! » Et non seulement disons-le, mais ayons de notre triste état une vraie et profonde conviction, et si un autre nous accuse d’être, en effet, des pécheurs, ne nous irritons point. Ce pénitent, lui aussi, s’entendit accuser par le pharisien qui disait :« Je ne suis pas comme ce publicain » ; et il ne s’en est ni fâché, ni même piqué. L’autre lui montrait ironiquement sa blessure ; lui, il en cherchait le remède. Disons donc, nous aussi : Ayez pitié de moi qui suis un pécheur !