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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/58

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caparaçonnés ; les gens qui montent sur les planches de théâtre, vous donneraient des leçons de luxe. Ne rougissez-vous pas de vous enorgueillir à propos d’avantages que partagent avec vous les animaux, les esclaves, les meurtriers, les efféminés, les brigands, les profanateurs de sépultures ? – Mais vous construisez des palais splendides ? Que vaut cet honneur ? Beaucoup de gens en ont de plus magnifiques. Ne voit-on pas tous les jours des gens, que travaille la folle passion des richesses, qui bâtissent des maisons dans des lieux sauvages et déserts pour servir de demeure à ces oiseaux ? – De quoi êtes-vous si fiers, enfin ? De votre belle voix ? Vous ne chanterez jamais plus agréablement que le cygne ou que le rossignol. De votre habileté mécanique ou artistique ? Construisez-vous plus habilement que l’abeille ? Est-il tapissier, peintre, architecte qui puisse imiter ses travaux ? De la finesse de vos tissus ? L’araignée vous dépasse. De la vitesse de vos pieds ? Ah ! déférez le premier rang aux animaux, aux lièvres, aux cerfs, à des bêtes de somme que votre vélocité ne saurait vaincre. De vos déplacements et voyages ? Les oiseaux, à cet égard, n’ont rien à craindre de la comparaison ; ils voyagent plus commodément, ils changent de séjour, sans avoir besoin d’équipages ni de provisions : leurs ailes suffisent à tout et remplacent vaisseau, coursiers, voitures, vents et voiles, tout ce que vous voudrez. De votre vue perçante ? L’âne est encore mieux doué. De votre odorat ? Le chien sera votre heureux rival. De votre talent à faire des provisions ? Les fourmis sont plus habiles. De l’or qui brille sur vous ? Les fourmis indiennes en ont davantage. De votre santé ? Les animaux l’ont meilleure ; ils ont plus que vous la solidité du tempérament, et l’admirable instinct de se procurer le nécessaire ; aussi ne craignent-ils pas la pauvreté : « Regardez les oiseaux du ciel », a dit le Seigneur, « ils ne sèment, ni ne moissonnent, ni n’amassent dans des greniers ». (Mt. 6,26) Ainsi, conclurez-vous, Dieu a créé les animaux dans une condition meilleure que la nôtre. Voyez-vous quelle est notre irréflexion ? voyez-vous comment nous jugeons mal les choses ? voyez-vous comme il est avantageux d’examiner les faits. Voilà un homme qui se plaçait bien au-dessus de ses semblables et qui se laisse convaincre qu’il est au-dessous des brutes ! – Allons, épargnons-lui cette honte, et gardons-nous de l’imiter. Par ses sentiments d’orgueil, il voudrait s’élever au-dessus de la nature, ne le laissons donc pas tomber plus bas que les brutes ; relevons-le, non pas par égard pour lui-même, car il mériterait de subir cette misérable condition, mais pour l’honneur de Dieu, dont nous aimons à montrer la bonté suprême et l’honneur que chacun de nous lui doit.
Car il est, il est bien certainement des différences profondes entre nous et les brutes ; en certaines choses il n’y a plus rien de commun entre elles et nous. Et quelles sont ces prérogatives ? La piété et la vertu. Ne m’objectez pas ici les fornicateurs, les voleurs et les homicides, car nous n’avons rien à démêler avec cette espèce d’hommes. Quels privilèges avons-nous encore ? La connaissance de Dieu et de sa providence, la raison chrétienne qui nous découvre l’immortalité. Ici la brute est vaincue, puisqu’elle n’a pas même le soupçon de ces vérités qui nous consolent. Ici, entre la brute et nous, rien de commun ; inférieurs sur tous les autres points signalés, nous avons en ceux-ci l’empire et le triomphe ; c’est même un trait caractéristique de notre grandeur, que, vaincus par la bête d’autre part, nous pouvons cependant ainsi régner sur elle, dès que notre humilité, ne s’attribuant plus la cause et le mérite de quoi que ce soit, rapporte tout à Dieu, à Dieu qui nous a créés et nous a donné la raison. À la bête nous tendons des rets et des pièges, et nous savons l’y attirer et l’y prendre : tandis que nous-mêmes, sages et modérés, nous nous sauvons par l’équité, par la douceur, par le mépris de l’argent.
Vous, au contraire, qui comptez parmi les sottes victimes de l’orgueil et qui êtes éloigné des nobles idées que je développe, j’ai raison de dire que tantôt vous êtes le plus orgueilleux des hommes, tantôt la plus humiliée des brutes. C’est, en effet, le caractère de ce vice arrogant et audacieux de s’élever aujourd’hui sans mesure, et demain de se rabaisser d’autant plus, sans jamais garder le juste milieu. L’humilité nous égale aux anges ; un royaume lui est promis, et c’est avec Jésus-Christ qu’elle doit en partager les joies. L’homme humble, vraiment homme, peut être frappé, il ne peut succomber ; il méprise la mort, loin de l’envisager avec crainte et tremblement ; il sait borner ses désirs. Qui n’a point l’humilité est plus méprisable que la brute ; et, si par les