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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/84

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pousse et écarte par son invincible élan tous ceux qui font obstacle à sa course rapide ses pensées avec ses yeux, ses forces de corps et d’âme, tout en lui se ramasse et se concentre vers le prix à conquérir. Mais si Paul, jouteur si intrépide, après tant de souffrances, dit encore : « Si je puis enfin atteindre », que dirons-nous, pauvres concurrents tant de fois renversés ? — Quant à lui, ses efforts lui semblent l’acquit d’une dette sacrée ; je veux gagner, dit-il, « comme j’ai moi-même été gagné par Jésus-Christ ». J’étais dans la masse de perdition ; j’étouffais ; il me fallait périr ; Dieu m’a ressaisi. Hélas ! nous n’avions d’ardeur que pour le fuir, et Dieu nous a poursuivis ! L’apôtre en rapporte à lui seul tout le mérite. Par ces paroles : J’ai été gagné et ressaisi, il nous a prouvé l’ardeur de sa volonté à nous retrouver, en même temps qu’il nous montre notre éloignement si grand déjà, et nos errements, et notre fuite déjà consommée.

4. Chose, également déplorable ! Nous revenons tous à notre vieil état de péché, et, avec un compte déjà si redoutable, nul, parmi nous ne gémit, ne pleure, ne soupire. Ne croyez pas que je parle ici par ironie. Autant nous avons fui loin de Dieu avant l’arrivée de Jésus-Christ, autant le fuyons-nous maintenant encore. Car nous pouvons fuir Dieu ; non par des changements de lieu, puisqu’il est présent partout, mais par nos œuvres. Que par rapport au lieu nous ne puissions l’éviter, le Prophète le déclare : « Où irai-je, mon Dieu, pour me soustraire à votre esprit ? Où fuirai-je pour éviter votre face ? » (Psa. 138,7) Quel est donc le moyen de fuir Dieu ? Comment s’éloigne-t-on de lui ? Cet éloignement n’est que trop possible, puisque le même prophète dit encore : « Ceux qui s’éloignent de vous périront » ; et Isaïe : « Est-ce que vos iniquités n’ont pas jeté entre vous et moi un mur de division ? » (Psa. 72,27 ; et Is. 59,2)

Comment donc se fait cet éloignement, cette séparation ? Par notre volonté, par notre cœur, puisque ce ne peut être une séparation locale ; car comment fuir hors de celui qui est partout présent ? Et cependant le pécheur fuit. C’est ce que marque l’Écriture : « L’impie s’enfuit quand personne ne le poursuit ». (Pro. 28,1) Nous fuyons donc Dieu, qui nous poursuit sans cesse. L’apôtre courait pour approcher de lui ; nous courons aussi, nous, mais pour l’éviter et nous éloigner de lui.

Et ce n’est pas là un malheur déplorable ! Où fuis-tu, malheureux ? Où fuis-tu, misérable, loin de ta vie, loin de ton salut ? Si tu évites ton Dieu, où sera ton refuge ? Si tu évites la vie, comment pourras-tu vivre ? Ah ! plutôt, fuyons l’ennemi de notre salut ! Quand nous péchons, nous fuyons loin de Dieu ; nous errons comme l’esclave fugitif ; nous nous exilons sur la terre étrangère, semblable à cet enfant prodigue qui avait dévoré le bien de son père, et s’en était allé en pays étranger, après avoir épuisé son patrimoine, désormais il vivait, mais affamé. Nous aussi nous avons un patrimoine, et quel est-il ? La délivrance de nos péchés ; la force que Dieu nous a donnée pour remplir les devoirs de la vertu ; cette ardeur et cette patience, cet Esprit-Saint qu’il nous a versé avec le baptême. Une fois que ces biens sont épuisés, nous sommes en proie à la famine.

Un malade, tant qu’il est agité par la fièvre et travaillé par des humeurs vicieuses, ne peut ni se lever, ni s’acquitter de ses fonctions, ni faire quoi que ce soit ; mais que, délivré de sa maladie et rendu à la santé, il reste cependant inerte, sans action, vous ne l’imputerez qu’à sa paresse. C’est aussi notre histoire. Torturés par une grave maladie et par une fièvre ardente, nous étions gisants non pas sur un lit de douleurs, mais sur une couche de malice ; heureux de nous rouler dans le péché comme sur un fumier, couverts d’ulcères, respirant la puanteur, souillés, courbés, spectres enfin plutôt que créatures humaines. Les démons abominables nous entouraient ; le prince de ce monde nous insultait par un rire affreux. Le Fils unique de Dieu est venu ; il a fait luire les rayons de sa présence et dissipé l’ombre épaisse. Le roi qui s’asseyait sur le trône du Père, est venu vers nous quittant ce trône du Père ; et quand je dis qu’il l’a quitté, n’allez pas croire encore à un déplacement de sa substance divine, qui ne cesse de remplir et la terre et les cieux ; je parle de son incarnation. Il est venu vers cet ennemi qui lui portait une haine profonde, qui lui tournait le dos, et loin de vouloir, enfin, tourner vers lui ses yeux repentants, le poursuivait encore de ses blasphèmes journaliers. Il l’a vu gisant sur le fumier, dévoré par les vers, accablé par la fièvre et par la faim, travaillé par toutes les maladies à la fois. Oui, la fièvre le torturait, car c’est une fièvre avec ses flammes que la mauvaise concupiscence ;