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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/301

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a de plus saint, eût encore outragé la gloire d’un héros tel que Scipion ; qu’il eût détruit les titres de sa valeur, et anéanti les monuments de sa victoire. Informé des réflexions que suscitaient le piédestal et l’inscription, il imagina que tout serait bientôt oublié s’il faisait disparaître aussi ce piédestal accusateur. Il envoie l’ordre de le démolir. On vous a lu les registres de Ségeste, et vous avez vu ce qu’on a payé pour cette seconde opération.

XXXVI. C’est à vous, P. Scipion, oui, c’est à vous-même que j’adresse la parole : et je somme aujourd’hui le jeune héritier d’un héros, d’acquitter ce qu’il doit a son nom et à sa naissance. Pourquoi combattre pour cet homme qui a porté la plus cruelle atteinte à la gloire de votre famille ? pourquoi vouloir qu’il soit défendu ? pourquoi faut-il que, moi, je remplisse votre fonction, et que j’exerce un ministère qui vous appartient ? Cicéron réclame les monuments de Scipion l’Africain, et Scipion défend celui qui les a enlevés ! Un usage antique prescrit à chacun de nous de maintenir les monuments de ses ancêtres, de ne pas souffrir même qu’ils soient décorés d’un nom étranger : et quand un pervers a osé, je ne dis pas dénaturer, mais ravir et détruire les monuments de Scipion, vous serez son appui ! Et qui donc, grands dieux ! vengera la mémoire de Scipion ? qui donc maintiendra les trophées de sa valeur, si vous-même les abandonnez, si vous les laissez à la merci de l’audace, que dis-je ? si vous couvrez de votre protection l’exécrable auteur d’un tel forfait ?

Vous voyez ici les Ségestains, vos clients, les alliés, les amis du peuple romain. Ils certifient qu’après la ruine de Carthage, Scipion l’Africain rendit la statue de Diane a leurs ancêtres ; que cette statue fut posée et consacrée chez eux, sous les auspices de ce grand homme ; que Verrès l’a fait déplacer et enlever ; qu’il a fait disparaître le nom de Scipion. Ils vous prient, ils vous conjurent de rendre à leur piété l’objet d’un culte sacré, à votre famille les plus beaux titres de sa gloire, et de leur faire reconnaître, en arrachant leur déesse de la maison d’un brigand, la vertu du héros qui, pour eux autrefois, l’enleva des murs d’une ville ennemie.

XXXVII. Que pouvez-vous décemment leur répondre ? eux-mêmes que peuvent-ils faire, que d’invoquer votre nom et d’implorer votre appui ? Les voici ; ils l’implorent. Vous pouvez, Scipion, soutenir le lustre et l’honneur de votre maison. Oui, vous le pouvez : la fortune et la nature vous ont comblé de tous leurs dons. Je ne viens point disputer vos droits, usurper une gloire qui vous appartient ; je n’ai pas la folle prétention de m’établir le vengeur des monuments de Scipion l’Africain, quand j’aperçois ici l’héritier de sa gloire.

Défendez l’honneur de votre famille : mon devoir sera de me taire et d’applaudir même à l’heureuse destinée de Scipion, en voyant que sa gloire trouve un appui dans sa propre maison, et n’a pas besoin d’un secours étranger. Mais si votre amitié pour Verrès se fait seule entendre ; si ce que je réclame de vous ne vous semble pas un devoir indispensable, alors je prendrai votre place, alors je me chargerai d’une fonction que