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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/302

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je croyais la vôtre : je veux que notre brillante noblesse ne cesse pas de se plaindre que depuis longtemps le peuple romain prend plaisir à conférer les honneurs aux généreux efforts des hommes nouveaux. Au surplus, elle a tort de trouver mauvais que la vertu ait des droits dans une cité que la vertu a faite la reine des nations. Que d’autres gardent chez eux l’image de Scipion ; qu’ils se parent du nom et des titres d’un homme qui n’est plus : mais Scipion fut un héros ; il fut le bienfaiteur du peuple romain ; sa gloire n’est pas la propriété d’une seule famille ; elle est le patrimoine de la république entière. Je prétends pour ma part à ce noble héritage, parce que je suis citoyen d’une patrie qu’il a honorée, agrandie, illustrée, et plus encore parce que je pratique, autant qu’il est en mon pouvoir, les hautes vertus dont sa vie nous offre le plus parfait modèle, l’équité, l’amour du travail, la tempérance, la défense des malheureux, la haine des méchants. Cette conformité de goûts et de principes établit aussi des rapports non moins sacrés peut-être, ni moins intimes que ces liens du sang dont vous faites vanité.

XXXVIII. Verrès, je réclame de vous le monument de Scipion l’Africain. J’abandonne pour un moment la cause des Siciliens ; je ne parle plus de vos concussions ; j’oublie les maux dont se plaignent les Ségestaius. Que le piédestal soit rétabli ; que le nom d’un invincible général y soit gravé ; que cette admirable statue, reconquise à Carthage, reprenne sa place : ce n’est pas le défenseurdes Siciliens, ce n’est pas votre accusateur, ce ne sont pas les Ségestains qui le demandent, mais un citoyen qui s’est chargé de venger et de maintenir l’honneur et la gloire de Scipion. P. Servilius, qui siège parmi nos juges, ne peut improuver mon zèle. Célèbre par tant de hauts faits, occupé dans ce moment même du soin de ses monuments, il ne veut pas sans doute les laisser à la merci des pervers ; il désire les placer sous la garde non-seulement de sa famille, mais de tous les bons citoyens. Et vous, Q. Catulus, dont le monument est le plus beau et le plus magnifique qui existe dans tout l’univers, les élans de cette généreuse émulation ne peuvent vous déplaire, et vous verrez avec intérêt tous les honnêtes gens se faire un devoir de maintenir les trophées des grands hommes.

Pour moi, quelque criminels que soient à mes yeux les autres vols et les autres bassesses de Verrès, je n’y vois que la matière d’une juste accusation. Mais ce dernier forfait me révolte ; il m’indigne ; il me remplit d’horreur. Les trophées de Scipion dans la maison de Verrès ! dans une maison vouée au vice, au crime, à l’opprobre ! le monument du plus sage et du plus vertueux des mortels, la statue de la chaste Diane, au milieu d’un ramas de femmes corrompues et d’hommes corrupteurs !

XXXIX. Ce monument de Scipion est-il le seul que vous ayez violé ? n’avez-vous pas enlevé aussi aux habitants de Tyndare un superbe Mercure qu’ils tenaient du même Scipion ? Et de quelle manière s’en est-il emparé ? Grands dieux ! quelle audace ! quelle tyrannie ! et quelle impudence ! Les députés de Tyndare, citoyens respectables et les premiers de leur ville, vous ont dit que ce Mercure était l’objet de leur vénération ; qu’ils l’honoraient chaque année par des fêtes solennelles ; que Scipion, après la prise de Carthage, l’avait placé chez eux, pour être à la fois le monu-