Aller au contenu

Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

BLIC. Le sénat vous paraît-il prononcer que le fait a eu lieu ? ou ne se borne-t-il pas à le condamner dans le cas où il aurait eu lieu ? Que l’on eût pris l’avis de Cluentius lui-même, il n’aurait pas différé de ceux dont on se fait une arme contre lui. Mais, je vous le demande, le consul L. Lucullus, cet homme si sage, a-t-il fait convertir en loi ce sénatus-consulte ? L’année suivante, M. Lucullus et C. Cassius, qui étaient consuls désignés quand il fut rendu, l’ont-ils proposé a la sanction du peuple ? Non ; et ce silence que vous attribuez aussi, sans en donner l’ombre même d’une preuve, à l’argent de Cluentius, est d’abord un trait de sagesse et d’équité de la part des consuls, qui ne crurent pas devoir porter après coup, devant le peuple, un décret rendu par le sénat pour éteindre le premier feu d’une indignation passagère. Ensuite, le peuple romain lui-même, qui, animé par les plaintes hypocrites du tribun Quintius, avait sollicité le décret qui devait le saisir de cette affaire, ému ensuite par les larmes d’un enfant, le fils de C. Junius, accourut en foule et témoigna par des cris unanimes qu’il ne voulait plus entendre parler ni de loi, ni de poursuites. C’est une nouvelle preuve d’une vérité qu’on a souvent répétée. La mer, calme de sa nature, est soulevée par les vents et les orages : de même le peuple romain est paisible par caractère ; ce sont les clameurs des séditieux qui excitent dans son sein de si horribles tempêtes.

L. On m’oppose encore une autorité des plus graves que j’ai presque, à ma honte, oublié de combattre. Cette autorité, c’est la mienne. Attius a tiré de je ne sais quel discours, qu’il dit être de moi, une exhortation adressée à l’équité des juges, où il est question de plusieurs arrêts condamnés par l’opinion publique, et entre autres de celui de Junius ; comme si je n’avais pas dit en commençant, que la plus violente prévention s’était élevée contre cet arrêt ! ou, comme si, en parlant alors de la vénalité des jugements, j’avais pu omettre ce qui occupait l’attention de tout le peuple ! Eh bien ! si j’ai dit quelque chose de semblable, j’ai rapporté un fait que je n’avais point approfondi : mon discours n’était pas la déposition d’un témoin ; j’ai parlé suivant le besoin de ma cause et sans rien garantir. J’étais accusateur ; je me proposais de frapper fortement l’esprit des juges et celui du peuple romain ; je rappelais, non d’après moi-même, mais sur la foi de la renommée, tous les scandales judiciaires : je ne pouvais donc passer sous silence un procès dont la tribune populaire avait tant de fois retenti. Mais c’est une grande erreur de croire trouver dans les discours que nous prononçons devant les tribunaux, le dépôt fidèle de nos opinions personnelles. Tous ces discours sont le langage de la cause et de la circonstance, plutôt que celui de l’homme et de l’orateur ; car, si la cause pouvait parler elle-même, on n’emprunterait pas le secours de notre voix. Si nous sommes appelés, ce n’est pas pour débiter avec autorité nos propres maximes, c’est pour faire valoir les moyens que fournit la cause. Un homme d’un esprit supérieur, M. Antonius, disait, à ce qu’on rapporte, qu’il avait pour principe de n’écrire aucun de ses discours, afin que, s’il lui arrivait jamais de dire quelque chose de trop, il pût le désavouer ; comme si