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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/490

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nos paroles et nos actions, à moins d'être consignées sur le papier, ne pouvaient pas rester dans la mémoire des hommes.

LI. Pour moi, j'aime bien mieux suivre à cet égard le système d'un grand nombre d'orateurs, et particulièrement du plus sage et du plus éloquent de tous, L. Crassus. Comme il défendait un jour L. Plancius, poursuivi par M. Brutus, accusateur plein d'adresse et de véhémence, Brutus fit placer à ses côtés deux secrétaires qui lurent alternativement des passages contradictoires tirés de deux discours de Crassus. Dans l'un, ce grand orateur, combattant une loi proposée contre l'établissement de la colonie de Narbonne, rabaisse autant qu'il peut l'autorité du sénat. Dans l'autre, où il soutient la loi Servilia, il fait de cet ordre un pompeux éloge, et se permet contre les chevaliers romains les traits les plus mordants. Le lecteur en cita un grand nombre, pour indisposer les chevaliers contre Crassus dans une affaire où ils étaient juges. Crassus, dit-on, éprouva d'abord quelque trouble. C'est pourquoi, dans sa réponse, il commença par faire remarquer la différence des temps, afin de prouver qu'aux deux époques il avait également dit ce qu'exigeait l'intérêt de sa cause. Ensuite, pour apprendre à Brutus quel homme il avait provoqué, et lui faire voir comment il savait manier l'arme du ridicule, il fit à son tour paraître trois lecteurs, dont chacun tenait à la main un des livres que M. Brutus, père de l'accusateur, a composés sur le droit civil. On lut successivement le début de chaque ouvrage. À ces mots, que sans doute vous connaissez tous :« Nous nous trouvions par hasard à ma terre de Priverne, mon fils Marcus et moi, » Crassus demandait : Où est la terre de Priverne? À ceux-ci : « Nous étions dans ma maison d'Albe, mon fils Marcus et moi, » l'orateur demandait la maison d'Albe. — «Nous nous reposâmes un jour à Tivoli, mon fils Marcus et moi. » Il voulait savoir ce qu'était devenue la maison de campagne de Tivoli. Il ajoutait que Brutus, voyant les désordres de son fils, avait voulu, en homme sage, attester par écrit combien de domaines il lui laissait ; que, s'il eût pu, sans blesser la décence, écrire qu'il avait été au bain avec un fils de cet âge, il aurait aussi parlé des bains; qu'au reste, les tables du cens, et les registres de son père, à défaut de ses ouvrages, lui redemandaient ces bains comme tout le reste. C'est ainsi que ce grand orateur tira de Brutus une vengeance qui le fit repentir de ses citations indiscrètes. Il avait été piqué sans doute d'une censure qui tombait sur des discours politiques, où l'on a peut-être le droit d'exiger des principes plus fermes et plus invariables.

Mais moi je ne m'offense point des citations de mon adversaire. Je n'ai rien dit qui ne convînt à l'époque où je parlais, à la cause que j'avais à soutenir. Je ne me suis point donné d'entraves qui enchaînent ma liberté, et empêchent que je ne puisse avec honneur défendre Cluentius. Quand j'avouerais que c'est d'aujourd'hui seulement que je connais la vérité, et qu'auparavant je partageais l'erreur commune , qui pourrait m'en faire un crime? surtout, juges, lorsque je vous ai demandé à vous-mêmes en commençant, et que je vous demande encore à présent comme une justice, de renoncer à toutes les préventions que vous pourriez avoir apportées ici contre l'arrêt de Junius, et de les faire taire devant la connaissance de la cause, et la manifestation de la vérité.

LII. Maintenant, Attius, que j'ai répondu à