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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/656

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hommes si distingués, si dévoués à ses intérêts, qui ont embelli les jours de sa prospérité, et qui allègent maintenant le poids de son infortune, voulait-il les voir cruellement périr, afin de traîner avec Lentulus, Catilina, Céthégus, une vie honteuse et misérable, avec la perspective d’une mort ignominieuse ? Non, je le répète, de telles mœurs, une telle sagesse, une telle vie, un tel homme, n’admettent point un pareil soupçon.

La conjuration fut une monstruosité d’un genre tout nouveau : c’était une fureur incroyable et sans exemple ; c’était la réunion de tous les vices chez des misérables pervertis depuis la jeunesse, et d’où éclata tout d’un coup le plus exécrable, le plus inouï de tous les crimes. Ne croyez pas, Romains, que des hommes aient conçu et exécuté cet effroyable attentat. Non, il n’est point de nation, si barbare qu’on la suppose, où se soit rencontré, je ne dis pas tant de scélérats, mais un seul ennemi si acharné contre sa patrie. Ce furent des bêtes d’une férocité prodigieuse, des monstres sous des figures humaines. Examinez attentivement les choses, Romains : on ne peut rien dire ici de trop fort. Pénétrez dans le cœur de Catilina, d’Autronius, de Céthégus, de Lentulus, et des autres ; que de dissolutions, d’infamies, de turpitudes ; que d’attentats, et d’inconcevables fureurs ; que de crimes soupçonnés, que de parricides avérés, quel amas de forfaits en un mot n’y trouverez-vous pas ? Ces maladies de la république si graves, si invétérées, si désespérées, ont produit tout à coup une éruption d’humeurs vicieuses qui, en se jetant au dehors, ont guéri et sauvé la patrie. Croit-on que si ces pestes publiques fussent restées renfermées dans le sein de Rome, cet empire eût pu vivre longtemps encore ? Ainsi, ce n’est pas pour consommer leur crime, mais pour satisfaire à la république par leur supplice, que les Furies lei ont poussés à cet excès de démence.

XXVIII. Est-ce donc dans une pareille troupe, Romains, que vous rejetterez Sylla, en l’arrachant à la compagnie de tous ces grands personnages qui ont vécu et qui vivent avec lui ? De cette société honorable, du milieu de ces illustres amis le transporterez-vous dans la faction des impies, parmi les parricides ? Que deviendra donc la puissante recommandation d’une conduite honorable ? Quand nous servira notre vie passée ? Dans quelle occasion recueillerons-nous le fruit d’une bonne réputation, si, dans les conjonctures les plus critiques, lorsque nous combattons pour notre existence, l’opinion nous abandonne ; si elle ne témoigne pas en notre faveur ; si elle ne prend pas notre défense ?

L’accusateur nous menace d’interrogatoires et de tortures subies par les esclaves : nous pensons n’avoir rien à craindre de ce côté ; mais dans ces interrogatoires, c’est la douleur qui règle tout. La trempe plus ou moins forte de l’âme et du corps fait la destinée de l’accusé. Celui qui préside à l’enquête ordonne les aveux ; la passion les dirige à son gré ; l’espérance les corrompt ; la crainte en affaiblit l’autorité ; retenue, étouffée de toutes parts, la vérité ne saurait s’y faire jour. C’est la vie de Sylla qu’il faut mettre à la torture ; interrogez-la, cette vie ; demandez-lui si elle cache des dissolutions, des forfaits, des actes