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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/657

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de cruauté ou d’audace. Il n’y aura plus, Romains, ni erreur, ni incertitude, si le témoignage d’une vie entière, témoignage qui doit être d’un si grand poids, est entendu par vous aujourd’hui. Nous ne craignons dans cette cause aucun témoin ; nous pensons que personne ne sait rien, n’a rien vu, n’a rien entendu. Mais enfin, si le péril de Sylla ne vous touche pas, soyez touchés du vôtre. Vous tous, en effet, dont la vie a été aussi honorable qu’intègre, il vous importe qu’on ne juge pas les personnages distingués d’après les caprices, le ressentiment, la légèreté des témoins ; mais que dans les grandes informations, dans les périls imprévus, la vie de chacun soit le premier témoin. Gardez-vous, juges, de dépouiller cette vie de ses armes et de sa parure, pour la livrer à la haine et au soupçon. Fortifiez ce rempart des gens de bien ; fermez aux méchants tout refuge : que l’examen d’une vie entière ait une égale force pour condamner et pour absoudre, puisque seule elle peut se faire reconnaître par elle-même, puisque seule elle ne peut tout d’un coup ni changer ni dissimuler sa nature.

XXIX. Qu’ajouterai-je encore ? l’autorité de notre témoignage (car il faut toujours que j’en parle, mais j’en parlerai avec réserve et modestie), cette autorité est-elle nulle ? Avoir rejeté toutes les causes des autres conjurés et défendre Sylla, n’est-ce rien en sa faveur ? Un tel langage serait insupportable si nous annoncions quelques prétentions ; parier de nous, si les autres s’en taisaient, serait insupportable. Mais si l’on nous attaque, si l’on nous accuse, si l’on appelle sur nous la haine publique, assurément, Romains, vous nous permettrez de défendre notre liberté, si nous ne pouvons conserver toute la dignité qui nous convient.

Les consulaires ont été accusés tous ensemble, de sorte que ce titre honorable semble maintenant attirer plus de haine que de gloire, lis ont sollicité pour Catilina, dit Torquatus ; ils ont fait son éloge. Alors il n’y avait point de conjuration découverte, point de complots connus. Ils défendaient un ami, ils sollicitaient pour un suppliant ; dans le péril où il se trouvait, ils fermaient les yeux sur les turpitudes de sa vie. Ton père même, Torquatus, et il était alors consul, s’est intéressé pour Catilina accusé de concussion ; Catilina, homme pervers sans doute, mais suppliant ; capable de tous les excès peut-être, mais autrefois son ami. En sollicitant pour cet homme, quoiqu’on lui eût dénoncé déjà la première conjuration, il déclara qu’il en avait bien entendu quelque chose, mais qu’il n’y croyait pas. Dans un second jugement, où d’autres sollicitaient pour Catilina, il ne l’a pas soutenu. S’il avait acquis depuis une certitude sur des faits qu’il ignorait, étant consul, il faut pardonner à ceux qui, depuis, n’avaient rien appris de nouveau. Mais s’il a été détourné par ce premier rapport, comment ce fait déjà ancien l’a-t-il plus déterminé que lorsqu’il était tout récent ? Au reste, si ton père, même en soupçonnant les périls qui le menaçaient, a néanmoins, par un sentiment d’humanité, pris rang parmi les solliciteurs d’un méchant homme, et honoré sa cause de la chaise curule, de sa dignité personnelle et des insignes du consulat, est-ce un motif pour blâmer les consulaires d’avoir assisté Catilina ? Mais ces mêmes hommes n’ont point sollicité pour ceux qui, avant l’accusation présente, ont été accusés sur le fait de la conjuration. Ils ont pensé que des citoyens coupables d’un pareil attentat ne devaient espérer d’eux ni aide, ni protection, ni secours.