— Reposez-vous, Monsieur Sallé. Les troubadours, ça me connaît : je les vois tous sous la forme du petit chanteur Florentin, comme ça. Je me lève et je prends la pose : le corps appuyé sur la jambe droite, l’ombrelle verte du père Sallé me servant de mandoline. Heureusement nous sommes seuls en ce coin ; Luce me regarde de loin et bée de surprise. Ce pauvre homme goutteux, ça le distrait un peu ; il rit.
— … Ils ont une toque en velours, les cheveux bouclés, souvent même un costume mi-partie (en bleu et jaune ça fait très bien) ; leur mandoline pendue à un cordon de soie, ils chantent la petite chose du Passant : « Mignonne, voici l’avril ». C’est ainsi, Monsieur Sallé, que je me représente les troubadours. Nous avons aussi le troubadour premier empire.
— Mon enfant, vous êtes un peu folle, mais je me délasse avec vous. Qu’est-ce que vous pouvez bien appeler les troubadours premier empire, Dieu juste ? Parlez tout bas, ma petite Claudine, si ces messieurs nous voyaient.
— Chut ! les troubadours premier empire, je les ai connus par des chansons que chantait papa. Écoutez bien.
Je fredonne tout bas :
Brûlant d’amour et partant pour la guerre,
Le casque en tête et la lyre à la main,
Un troubadour à sa jeune bergère
En s’éloignant répétait ce refrain.