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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/336

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les âges primitifs

liser leurs accomplissements, du jour au lendemain, dans l’état où nous les rencontrons aujourd’hui. La gaucherie de ces ébauches a nécessairement produit des pièces défectueuses que le progrès du tour de main plus tard a fait rebuter. D’autres sont restées inachevées, présentant, malgré tout, des caractéristiques où l’intention se décèle.

Puissant serait l’intérêt d’une recherche approfondie qui nous montrerait le paléolithique au chantier. Les musées sont parfois des conservatoires d’où le conservateur redoute de s’évader, dans la crainte de rencontrer du nouveau, par respect du parti pris. J’aimerais des séries d’ébauches en regard des pièces achevées. Les retouches, surtout, sont significatives. Dans l’éolithe naturel, elles font voir comment l’outil de fortune suggéra une appropriation supérieure, et comment la réalisation en fut tentée. Inauguration d’un progrès industriel dans l’humanité. Quand des séries d’outils imparfaits présentent quelque trait d’une même inspiration — fût-elle défectueuse — il me paraît bon d’en prendre acte pour saisir un indice des intentions de l’ouvrier.

C’est avec les images des grottes que nous allons entrer dans l’ordre des suggestions de pensées et de gestes classés sous le nom de civilisation paléolithique[1]. Mais il faut bien s’attendre à ce que toutes ces manifestations d’esthétique ornementale ou utilitaire se trouvent présentées pêle-mêle, qu’elles soient ou non d’époques différentes. Des superpositions de peintures attestent assez haut des rivalités d’art, avec des diversités d’occasions. Des galets, rencontrés en divers lieux, nous montrent d’informes commencements. On dirait d’un enfant qui cherche il ne sait quoi. Entre les pierres striées par les ruées des torrents, ou portant des traces équivoques d’un dessein de main humaine, il n’est pas toujours facile de distinguer. Parfois, des traits d’une observation inattendue, malgré trop d’inexpérience encore. Et puis, des chefs-d’œuvre. De libres gravures, même des sculptures en ronde-bosse, en haut et bas-relief, sur des objets manuels. Pierre, os, corne, ivoire, bois, sont les matières employées. Puis les cavernes s’ouvrent : leurs images vont parler.

  1. Des bracelets, des peignes, des colliers, des objets d’ornements, attestent un désir de parure, une sauvage recherche de beauté dont Darwin s’est efforcé de faire apparaître la filière chez les animaux.